Sur le GR20 en juin 2015

Ami lecteur, ce texte est long, comme le parcours ! Tu peux lire et vivre ! les étapes une par une ... même en désordre !

Première vision de la Corse

 Samedi 30 mai 2015

Dans l’avion entre Toulouse et Bastia.

Depuis bien longtemps je pensais parcourir le sentier de randonnée corse, le GR20. Mais sans jamais y croire vraiment. Trop d’occupation, pas assez de temps libre. Et justement ce temps qui passe voit mes facultés physiques ne pas aller vers une augmentation de mes performances. Même si de ce côté-là tout va bien pour moi. Et puis le fait d’avoir reporté sans cesse des congés de 2013 et 2014 pour cause d’activité professionnelle pour laquelle personne ne pouvait me remplacer, je me retrouve avec 10 semaines de retard de congés. Mon nouvel employeur veut solder cette situation au plus vite. C’est enfin une ouverture pour profiter de ces nombreuses semaines de congés à prendre. Aussi ça y est, je peux concrétiser ce rêve corse. C’est un pari qui me parait à la fois un peu osé et aussi une perspective de jouir douloureusement de 3 semaines de paysages fantastiques si je m’en tiens à la réputation qui accompagne ce parcours. Tout en étant persuadé que je suis capable physiquement de réaliser cette grande randonnée, je ne peux pas me séparer d’une inquiétude quant aux efforts qu’il me faudra fournir. J’ai voulu être autonome mais ça a un prix. Le poids. Tout compris j’aurais plus de 20 kg à porter sur le dos en permanence. Etant donné les dénivelés qui m’attendent, ce ne sera pas facile. Mais reprenant une affirmation que j’affectionne tout particulièrement : personne ne m’a forcé à faire cela, je ne peux donc pas me plaindre ! Et au fond de moi je sais que je serais heureux de vivre cette aventure. Et comme je n’aime pas rester en pantoufles je suis plein de joie et d’excitation.

Je suis maintenant dans la salle d’embarquement à attendre le départ du vol. Ma précédente réservation a été annulée à cause du travail. Cette fois est la bonne. Du travail m’attendait encore la semaine prochaine. Mais c’est à cause de ce genre de travaux que j’ai tant de congés non pris. Alors aujourd’hui, place à d’autres, je pars en montagne.

Je fais la queue pour l’embarquement mais je suis poliment refoulé car je tente d’embarquer pour Ajaccio. Trop au sud !! La bonne porte me conduit à l’avion. Un B717-200 attend sur le tarmac. Cabine parfaite, personnel impeccable. Au départ le ciel est très couvert puis se dégage complètement au dessus de la méditerranée. Nous suivons la côte jusqu’à Marseille que nous devons survoler. Le vol est à 9500 mètres d’altitude. La cabine est pressurisée à 1765 mètres. Il faut bien que j’utilise un peu mon nouvel altimètre ! Et nous volons à 107° c’est-à-dire est-sud-est. L’air est brumeux mais beau temps. La mer bleue invite au voyage. Vue d’ici la côte est très urbanisée, les ports se succèdent. Je ne les connais pas assez pour les identifier. Un aéroport dont les pistes commencent sur la plage me fait penser à Nice, mais nous n’iront pas jusque là. Il est 10h40. Un petit bateau laisse un sillage circulaire. Quelqu’un qui s’amuse.

A nouveau le ciel se charge de nuages. Dois-je m’inquiéter pour ma randonnée ? Non je prendrais le temps comme il se présentera. Ce sera bien tout de même. A la vitesse de l’avion on passe d’une météo à l’autre en une seule phrase !

10h45. J’aperçois des montagnes dans l’air brumeux. On y voit de la neige en petite quantité près des sommets. Quelques nuages coiffent les parties les plus hautes, le tout noyé dans le bleu. Celui du ciel, celui de la mer. Les côtes émergent de la brume dans de magnifiques nuances de bleus. C’est indistinct et fantomatique. Je crois distinguer Calvi sur la droite de l’avion et les montagnes en arrière plan sont enneigées. Les nuages sont concentrés sur les faces est des arêtes.

Nous approchons de l’ile par l’est après avoir survolé le cap corse. La vue est magnifique : ce pays est montagneux. Qui l’eut cru ?

Débarquement standard. Beaucoup de monde. Mon sac récupéré, je trouve le bus à proximité pour m’amener dans la ville de Bastia. J’attends 10 minutes, une dizaine de personnes seulement dans ce grand bus. Après 20 minutes je suis en ville à la gare routière juste devant la gare ferroviaire. Il n’y a plus de bus à cette heure pour Calvi mais un train part à 15h40 avec correspondance à Porte Leccia à 18h18 et arrivée à Calvi à 20h12. Je suppose que je ne pourrais pas aller à Calenzana ce soir. Je commence à prendre du retard avant d’être parti ! Je ne suis pas pressé mais j’ai tout de même 16 jours de marche minimum d’après le guide de la fédération française de randonnée. Demain sera un autre jour.

Je me suis renseigné pour acheter des cartouches de gaz. Qui a dit que les Corses ne sont pas accueillants ? Il suffit d’engager la conversation et il est difficile ensuite de s’en extraire ! Une dame s’est détournée de sa route pout m’amener vers un magasin, un commerçant s’est lancé pour moi dans des anecdotes sur la montagne …

A la gare je mange de la charcuterie locale achetée dans une supérette proche. Excellent mais comme tout ici, ce me semble un peu cher.

Comme j’ai beaucoup de temps, je confie mon sac au préposé de la gare qui n’a pas beaucoup de place mais accepte de le garder dans un petit local déjà bien plein de bagages. Cela me laisse plus de deux heures pour visiter la ville. La partie centrale avec le vieux port ne manque pas de charme. Les maisons sont étagées le long du versant de la montagne toute proche. Le spectacle de port est comme souvent très en couleurs même si c’est à dominante touristique et non avec des bateaux traditionnels. Retour à la gare, récupération de mon sac. Le train arrive et part à l’heure. Beaucoup de monde et bien sur beaucoup de randonneurs, tous dans la même direction. Assis en face de moi 2 d’entre eux. Nous parlons bien sur de la randonnée qui nous attend. Ils comptent faire le parcours en 2 semaines et sont chargés légèrement car ils vont aux refuges qu’ils ont réservés. Je ne sais pas si mon choix d’être en totale autonomie est judicieux. Mais je n’ai pas vraiment le choix. Comment pouvoir réserver les refuges quand je suis incapable de prévoir un programme que je pourrais être certain de tenir ?

Changement de train à Porte Leccia. 200 mètres d’altitude. Le train démarre et vibre beaucoup. J’arrête d’écrire.

Ensuite, après de bonnes montées c’est une interminable descente vers la mer à l’ouest. Magnifique paysage. Bientôt on aperçoit la mer sous un soleil de plus en plus bas mais néanmoins particulièrement chaud derrière les vitres de la voiture. La partie de la voie qui longe la côte n’est pas la plus laide. La côte est très découpée, de nombreuses plages sur de l’eau limpide sont envahies par toutes sortes d’établissements pour les touristes mais il n’y a pas encore foule. Le train passe à portée de main à la fois de l’eau et des bâtiments.

Arrivée à Calvi.

Ce n’est pas tout de se rincer l’œil pendant le voyage, il me faut penser à la nuit qui vient. Où vais-je dormir ? Au hasard j’emprunte la première grande rue montante en direction de la citadelle que j’ai repérée sur le plan Michelin de ma carte routière. Les 2 premiers hôtels sont trop huppés pour moi. Le Belvédère me semble bien mais est complet bien sur. La réceptionniste m’indique le Sole Mare avec un accent du nord de l’Europe étrange ici où la langue chantante rappelle sans cesse où je suis. Le Sole Mare est complet aussi et la réceptionniste souriante et polyglotte m’indique … le Belvédère ! Puis un motel à proximité. J’y cours, enfin presque. Ca monte et mon sac me freine des 4 sangles. J’y arrive au moment où la préposée à la réception allait s’en aller. La nuit, ici il n’y a qu’un gardien. Il y a plusieurs bungalows libres. Un seul me suffit. Il est prévu pour 3 personnes et équipé avec tout le nécessaire sauf toutefois de chaises. C’est surement une option complémentaire. Il y a même la télé. Sur laquelle je suis sur Arte 2 émissions successives très intéressantes sur l’astronomie.

Douche.

Dormir.

Aéroport de Bastia
Le port de Bastia

Dimanche 31 mai 2015, étape 1, Calvi – Ortu di u Piobbu

J’ai retenu un petit déjeuner à 8 heures. C’est un peu tard mais finalement comme s’il y a un bus pour Calenzana il n’est que l’après midi d’après le guide,  je tenterais le stop recommandé par la dame de la réception. Sinon ce sera taxi, il y a12 kilomètres.

Petit déjeuner paradoxalement « continental » pour une ile. C’est-à-dire standard, il ne faudrait pas forcer beaucoup pour dire insipide ou tout au moins quelconque pour le touriste lambda pas exigeant. Mais ça nourrit.

Devant la gare, un taxi attend. Je lui demande son tarif pour aller à Calenzana. Le chauffeur me répond 45 euros après m’avoir bien regardé et sur un ton désagréablement désinvolte en levant lentement la main en signe d’impuissance comme si toute la fatalité du monde lui était tombée dessus. J’espère qu’il m’a bien vu. Je tente le stop !

J’attends d’atteindre la périphérie de l’agglomération pour lever le pouce. Début peu prometteur. J’avance plus avant afin d’être hors de la ville. Même résultat. Je sors de la ville et passe le premier carrefour important. Mêmes causes, mêmes effets. En physique ou en chimie c’est normal. Mais ici ? Un VTTiste passe à côté de moi sans s’arrêter.

Bref échange.

  • Ils ne s’arrêteront pas.
  • Ah bon ?
  • Non, pas en Corse.

C’est bref, c’est concis.

Bon je vais aller à pied. Douze kilomètres ne me tuerons pas. Je garde mon pouce pour moi et force le pas. Faire de la randonnée sur le bas côté de la route avec beaucoup de circulation n’est pas la plus agréable chose que j’aie faite. Mais c’est pour la bonne cause.

Quatre kilomètres plus loin je suis au carrefour de la route de Calenzana il me reste encore huit kilomètres. Je peux tenter une autre fois. Je ressors mon pouce et la première voiture s’arrête. C’est un Corse. Je rêve. La place avant du passager est couverte de beaux bouquets de fleurs. Je m’installe à l’arrière de sa Mercedes. Nous parlons bien sur du GR20. Il me laisse à l’entrée du village. Je n’ai pas de mal à trouver les premières balises du chemin. C’est indiqué partout. Les marques blanc et rouge seront mes compagnes de tous les instants. Je remplis ma poche à eau avec de l’eau achetée en bouteille dans une épicerie. Et je démarre lentement. Je sais ce qui m’attend et mon sac est décidément bien trop lourd. Vingt kilos. T’es malade Bob.

Je croise quelques personnes mais surtout d’autres me doublent. C’est étrange ! Je suis parti de Calenzana à 10h ce qui est très tard. Je vais profiter pleinement du soleil de plomb de midi ! Super. Le chemin est superbe, sublime … mais en pente très montante. Sur le panneau de départ au village, 6h30 sont indiquées pour aller jusqu’au refuge. J’en mettrai 8. Le poids du sac et des ans y sont sans doute pour quelque chose. Je fais de nombreuses haltes pour reposer les muscles, les poumons et le reste. Et pour boire très régulièrement. Il y a des photos à faire partout. Je n’en ferais qu’une seule myriade.

Après 1300 mètres de montée, au refuge d’Ortu di u Piobbu j’apprends que les réservations obligatoires ne le sont que pour une place dans le dortoir et non pour manger. « Il y a toujours à manger pour tout le monde » me dit le gardien très accueillant. Dommage que je ne l’ai pas su plus tôt, j’aurais allégé mon sac de 6 kg environ.

Tenté par le menu annoncé et affamé, je mange au refuge. Excellente soupe brûlante de légumes que j’honore 2 fois, lentilles à la grosse louche et marbré difficile à avaler tellement consistant, copieux et hydrophile. Il me sèche la bouche à chaque petit morceau. Je boirais beaucoup. Je monte la tente péniblement. Serais-je fatigué ? Dès que le soleil se cache le froid tombe à grand fracas. J’écris ces lignes emmitouflé dans ma doudoune, merci les oies.

Le ciel est magnifique. Rougeurs à l’horizon et saturne brille solitaire.

Bonne nuit.

Pause auprès d'un géant
Déjà loin : Calvi
Première source
Au loin encore, le refuge Ortu di u Piobbu
Magnifique sentier impressionnant
Une autre pause ...
Belle première nuit
Marcher le long de ces dalles immenses

Lundi 1° juin 2015, étape 2, Ortu di u Piobbu – Carrozzu

J’ai passé une assez bonne nuit. La tente très confortable justifie le poids porté en ce qui la concerne. Réveillé tôt. Vers 5 heures mais j’attends 5h45 avant de me lever pour me préparer à manger et plier le camp. Je démarre à 7h15. Le soleil commence à éclairer les sommets.

La journée sera belle. Dès le début ça monte puis ça monte de plus en plus pour finir dans des blocs entre lesquels la progression est difficile et épuisante pour moi. On arrive à une brèche très impressionnante derrière laquelle d’immenses précipices surplombés de superbes pics n’incitent pas à tenter une descente ici. C’est le cirque de Bonifatu.

Le chemin monte … encore vers une arête sur la droite. Puis c’est le col d’Avartoli et la Punta Ghialla. A la suite c’est une succession de petits cols franchis tantôt dans un sens tantôt dans l’autre afin de suivre l’arête avec des passages surplombant un vide impressionnant même si parfois le brouillard l’envahit. C’est d’ailleurs à la faveur, si l’on peut dire, de ce brouillard que je perds le chemin un moment. Je redescends une cheminée que je viens de monter la croyant dans la bonne direction. Depuis un moment je ne voyais plus de balise rouge et blanc. Après avoir bien observé sans voir de balise ni de cairn je décide de remonter cette cheminée qui s’avère être dans la bonne direction ! Je retrouve le sentier tout en haut. Quelques efforts pour rien. Il y en a pourtant assez à fournir. Mais c’est tellement beau ici que les efforts sont dérisoires. Vers la fin du parcours une interminable descente précède l’arrivée au gite de Carrozu. Ça me casse les jambes et j’arrive au refuge bien fatigué. J’aurais mis 8h30 pour un parcours annoncé à 6h10.

Il fait beau à travers des trouées dans les nuages. Je plante ma tente entre des buis sans doute centenaires. Le terrain n’est pas vraiment plat et est envahi de myriades de fourmis noires très actives. Je suppose que tous les randonneurs mangent au refuge. J’entends la gardienne qui appelle « à table » à 18h et d’un coup c’est le silence. Je suis seul à une table près de ma tente. Enfin seul …un rouge-gorge me visite plusieurs fois et s’approprie des miettes de pain que je lui donne jusque sur la table. Des merles chantent dans la forêt de hêtres voisins.

J’aurais besoin de faire un brin de lessive et de toilette. La bête transpire. Les sanitaires sont parfaits mais l’eau de la douche est à température locale c’est-à-dire celle de la montagne. Ca réveille disent mes voisins.

Cirque de Bonifatu
Bien "petit" dans ce décor !
Agréable bivouac
Dans la lumière magique du soir
La célèbre passerelle de Spasimata
Des marches de géants à l'usage des nains

Mardi 2 juin 2015, étape 3, Carrozzu – Asco Stagnu

Le refuge de Carrozu est vraiment un refuge de montagne bien qu’à une altitude relativement faible. 1200 mètres environ. Comme partout l’ambiance entre randonneurs est chaleureuse. On échange beaucoup. Et surtout parce que ce sont les mêmes groupes qui se suivent depuis le départ. Je suis doublé  pendant la matinée par la plupart des groupes qui sont constitués de jeunes et nous nous retrouvons au refuge en fin d’après-midi. Chacun y allant de ses impressions du jour. Hier la montée était raide et longue, la partie d’altitude assez technique. La descente interminable a marqué la plupart des gars tant elle était longue et physique dans des cailloutis dans lesquels il est difficile de se caler les pieds. L’arrivée au refuge était vraiment bienvenue. Ce matin le départ un peu tardif par rapport à ce que je souhaitais : 7h30.

Mais il est difficile de démarrer, de se sortir du duvet bien chaud pour affronter la fraicheur du matin. C’est paradoxal, partagé entre l’envie de progresser dans ce magnifique décor et le recul devant les efforts démesurés – pour moi – nécessaires pour gravir les pentes raides habillées de passages très techniques c’est-à-dire entre des rochers qu’il faut escalader et parfois dominant des abîmes respectables. Mon expérience de la spéléo m’est une aide de tous les instants car c’est entre marche difficile et escalade où la désescalade en descente n’est pas plus simple en général que la montée surtout lorsque la perspective visuelle d’un grand vide au-dessous force le respect !

Après la passerelle de Spasimata, aujourd’hui la montée est magnifique. Longue certes mais sur un terrain sain sans cailloutis qui roulent sous les pieds et casse le rythme difficilement acquis et je suis arrivé au bout après avoir franchi un névé et un couloir à la pente raide dominant un petit lac alimenté par des névés. Baigneurs courageux c’est à vous ! Au sommet du couloir, de l’autre côté de la montagne vue splendide avec des pics enneigés dominant la station de ski de Asco Stagnu en cours de rénovation. D’ici on voit l’entrée du Cirque de la Solitude ou Bocca Tumasginesca. Est-ce son nom, sa réputation ? Tout le monde semble le craindre. Toutes sortes de bruit le concernant courent au refuge : bloqués par la neige, échelles et câbles inaccessibles ou pas de difficulté particulière pour le franchir … On ne sait plus à quel saint se vouer. Il y a une possibilité de le court-circuiter en se faisant amener au refuge suivant par une navette et parcourir l’étape en sens inverse aller-retour jusqu’au sud du cirque mais sans le franchir et sans sac à dos laissé au refuge. Ca me tente mais casse la magie de « l’intégrale ». A voir.

Au refuge d’Asco Stagnu pas de cantine mais une épicerie et l’accès à la cuisine avec réchaud et vaisselle disponibles. Super.

Et il y a une douche « chaude ». Oui, oui, chaude !

Quel confort.

Insignifiant semble-t-il mais après celle glacée d’hier, c’est vraiment bien. Le gardien me vente sa charcuterie, pâté, salaisons et sa bière. Je craque pour un pâté de sanglier et une bière Pietra à la châtaigne. C’est bien bon. Et pour que je puisse goûter pleinement il appelle sa femme pour qu’elle me donne la dernière demie baguette de pain qui lui reste. Très sympathique parce que pas obligatoire du tout.

Sentier ... caillouteux
En spectacle de tous les instants
A Bocca Stagnu, une vue vers l'accès au Cirque de la Solitude
Bivouac à Ascu Stagnu
La montée tranquille avant le cirque de la Solitude
Descente dans le Cirque de la Solitude
Au fond du Cirque

Mercredi 3 juin 2015, étape 4, Asco Stagnu – Tighjettu

Je ne sais pas si c’est la bière Pietra ambrée à la châtaigne mais j’ai très mal dormi. D’abord impossible de m’endormir. Il est vrai que je n’ai pas l’entrainement pour me coucher à 20 h ! Ce matin réveil facile mais démarrage laborieux. Je suis allé déjeuner au gite et pendant ce temps personne n’a rangé ma tente et tout mon barda … Départ à 7h sonnantes J’ai oublié d’annuler l’alarme de ma montre qui sonne quand je pars. Au revoir chaleureux du gardien qui me serre la main en souhaitant me revoir. Pourquoi pas dans une vie ultérieure.

Le début du sentier est sur les pistes de la station de ski. Pas bien réveillé sans doute je perds les balises rouge-blanche et me retrouve dans une forêt de jeunes pins Laricio très caillouteuse puis dans des hêtres bas qui surplombent une végétation épaisse au sol qui complique la marche. D’ailleurs je croyais que rien ne poussait sous les hêtres … Je suis une ancienne ligne de remonte pente rouillée sous laquelle l’absence de végétation a laissé libre cours à l’érosion qui n’en demandait pas tant. C’est une véritable tranchée emplie de blocs de roche de la moraine glaciaire sur laquelle je suis. La marche est très difficile. Il fallait bien que je complique la journée qui pourtant est annoncée bien chargée. Comme je sais tout de même où est le GR, je finis par le retrouver. Il est d’ailleurs très « confortable » dans la forêt avant d’entrer dans une zone d’alpage qui remonte jusqu’à des blocs au pied de névés conduisant après leur franchissement à l’entrée du Cirque.

C’est un col à 2183 mètres appelé « col perdu ». Quand on y est on comprend pourquoi. Il domine le Cirque quasiment vertical au-dessous. Endroit d’une sauvagerie redoutable. La roche ici est constituée de grandes plaques sub verticales. La descente parmi elles ne ressemble en rien à un chemin, ni même à un sentier. C’est de l’escalade à rebours sur 200 mètres de dénivelé. Des chaines sont installées pour faciliter la descente. Mais même comme ça il est délicat de progresser vers le bas. Plusieurs groupes qui me précèdent semblent trouver cette descente plus que difficile à en juger leur lenteur. Je finis par les doubler sur un palier pour me retrouver en fond du Cirque sur des névés. La remontée de l’autre côté est encore plus impressionnante. Les névés sont très pentus et il y a beaucoup de chaines scellées dans la roche. Malgré elles la montée est difficile. En cas de pluie qui rendrait la roche glissante il faudrait s’encorder sur les chaines car en dessous il y a du vide très respectable.

Suivre ces mains courantes sans y être attaché comme on le ferait en spéléo est assez troublant. Je passe trois heures en tout dans le Cirque. Lorsque j’arrive au col Bocca Minuta qui est la sortie sud, 6 randonneurs sont là en pause et m’applaudissent. Il est 13h. J’en suis sorti ! L’un d’entre eux me photographie avec mon appareil. Ça fera un souvenir ! Ce Cirque n’est ouvert que depuis trois jours, auparavant il fallait y venir avec guide et matériel adapté pour neige et glace. Dans ce Cirque la Solitude n’est pas de mise c’est une arnaque, nous y étions bien nombreux. De plus je n’ai pas vu de clown mais beaucoup d’acrobates. (*)

Un randonneur solitaire arrive à cet endroit. Il parcourt le GR dans l’autre sens. Mais je trouve qu’il est tard pour attaquer cette épreuve et descendre au refuge ensuite. Il envisage de bivouaquer au fond du Cirque. J’espère qu’il n’est pas frileux ! Pour ce qui me concerne descendre vers le refuge de Tighjettu est plus facile que prévu. La bonne forme viendrait-elle ? J’aurais tout de même marché 9 heures.

Refuge sympathique. Repas pris en commun où on échange. A côté de moi 2 randonneurs finissent leur parcours sud-nord en doublant les étapes. Ils me signalent des options alpines de parcours sur 2 étapes qui me semblent intéressantes.

A voir le moment venu.

(*) Lorsque j’ai écrit ces lignes je ne pouvais me douter qu’une semaine plus tard, le 10 juin, un glissement de terrain allait couter la vie à 7 randonneurs et en blesser d’autres. La tranquillité d’esprit qui était la mienne lors de mon passage me fait prendre conscience que la prudence est vraiment de mise en un environnement pareil.

Vue arrière vers la Bocca Tumasginesca
Là-bas, l'entrée dans le cirque et la pente pour y descendre
... sorti du Cirque !
Le refuge de Tighjettu
Dans l'ombre matinale, le refuge déjà loin
Dans la montée vers la Bocca Foggiale

Jeudi 4 juin 2015, étape 5, Tighjettu – Castello di Vergio

Je choisis l’option de ne pas suivre le guide qui préconise une halte au refuge Ciottulu di i Mori mais d’aller jusqu’à Castellu di Vergio. Cela équilibrera les 2 journées à venir. Théoriquement 6h20 et 5h40 au lieu de 4h et 8h annoncées. En réalité je marche 10 heures.

Et j’apprends plus tard que le temps indiqué pour la deuxième partie est erroné dans le guide. Ca me rassure car il m’a fallu beaucoup de temps mais de toute façon je marche décidément bien lentement. Je m’arrête souvent pour boire, faire des photos, reposer mes jambes et mon dos car il faut dire que ces chemins sont durs à parcourir. Ne pas s’attendre à des chemins champêtres pour promenades digestives du troisième âge. C’est à la fois de la spéléo quant aux franchissements de certains obstacles, de l’escalade de murs et de la randonnée de haut niveau. Rares sont les chemins faciles. Toutefois aucune partie de ces parcours n’est anodine. C’est beau partout et varié. Aujourd’hui je descends dans deux vallées glaciaires différentes au profil caractéristique. La deuxième parcourue dans son intégralité jusqu’au verrou glaciaire constitué d’une moraine à franchir de bloc en bloc. Superbe. Le ruisseau à truites – j’en ai vu plusieurs – chante de cascade en cascade entre ces blocs tout de douces rondeurs. De belles vasques d’eau limpides invitent au bain mais seules les truites peuvent aimer cette fraicheur.

Enfin presque car j’ai vu un randonneur qui avait posé tout son matériel et qui se baignait nu. Il me faisait envie réellement. Mais la température de l’eau, la fatigue – et oui un peu – et l’éloignement du but de la journée m’ont découragé. Ensuite c’est la traversée d’une forêt tantôt de pins Laricio et maritimes, tantôt de hêtres dont certains particulièrement tortueux, noueux et sans doute très vieux. On a parfois l’impression de se trouver en forêt équatoriale quant à la verdure et la densité végétale. Ce parcours très long pour les jambes est un régal pour les sens. Les parfums exhalés par les pins et par certaines plantes piétinées sont un régal olfactif. Dans le soleil déclinant les grands asphodèles et les digitales illuminent certains sous bois déjà sombres. Comme je n’ai pas envie de pâtes sur gaz de camping et de fruits secs j’opte pour un repas au restaurant de Castellu di Vergio tout proche car cette halte est au bord de la route empruntée par les touristes.

Excellente soupe de légumes avec morceaux « entiers », entrecôte (deux tranches généreuses) avec légumes variés et pommes sautées, et part de tarte pour terminer. Le tout arrosé d’un pichet de vin rouge corse capiteux. Voilà de quoi aller dormir avec bon moral et de l’énergie en réserve pour demain qui sera une autre journée avide de calories.

Passage devant le refuge Ciottulu di i Mori
Près de la bergerie de Radule
Comme dans un jeu de billes géantes
En approche de Castellu di Vergio
Petit passage bucolique
Oui, il y a du vent à la Bocca San Pedru !

Vendredi 5 juin 2015, étape 6, Castello di Vergio – Manganu

Tout compte fait, j’ai eu une bonne idée de scinder l’étape. Deux randonneurs qui avancent en même temps que moi se sont arrêtés au refuge prévu par le guide. Et ont subi une épreuve qu’ils n’oublieront pas. Onze heures de marche alors que ce sont de véritables fusées sur les sentiers. Ca leur à même enlevé le plaisir de traverser les forêts de pins ou de hêtres certainement multi centenaires. Je discute avec l’un d’eux à son arrivée, il regrette son choix et est même étonné par les dires du gardien du refuge qui prétendait que 6h30 étaient suffisantes ! Cela pourrait même s’avérer dangereux d’envoyer des gens dans des épreuves qu’ils pourraient ne pas pouvoir assumer.

La traversée des forêts de pins Laricio dès le départ sur des chemins en pente raisonnable est un grand plaisir. Puis il y a une vraie montée dans un cadre aérien et plus tard la découverte du lac de Nino dans une vallée suspendue très verte qui constitue un site protégé, fragile et magnifique. Une grande prairie verte ou pozzine parcourue par des cours d’eau en méandres d’eau limpide. Mais on ne doit pas pénétrer en ce lieu fragile qu’il faut préserver, il semble que tout le monde n’ait pas été informé.

A la suite de cette vallée suspendue c’est une forêt aérée de très vieux hêtres tortueux dont certains morts foudroyés ou simplement de leur âge trop avancé. Ils sont fantomatiques et certains sont anthropomorphes avec des attitudes inquiétantes ou suppliantes au choix de l’observateur. On tombe ensuite sans préavis sur la bergerie de Vaccaghia  qui fait aussi gite. Plusieurs bergers attendent l’heure de rapatrier les chèvres qui n’ont pas encore l’habitude de rentrer seules. Il faut donc courir dans la montagne pour les chercher. La bergerie propose aussi boissons, fromage et pain. Il n’y a pas de lait de chèvre frais. Dommage ! J’achète un excellent fromage fourni avec du pain rassis bien sur mais bienvenu. Je goûte le tout dès mon arrivée au refuge de Manganu que l’on voit d’ici mais qu’il faut tout de même trois quarts d’heure pour atteindre. Il est vrai que je fais encore des photos sur le chemin.

Arrivé au refuge je vois le gardien pour signaler mon arrivée et demander un emplacement pour ma tente et réserver un repas pour ce soir. Le gardien très gouailleur remarque mon sac à dos volumineux, se moquant, me dit qu’il est plus gros que moi et lorsque je lui indique son poids s’exclame « mon Dieu, pourquoi s’infliger une telle souffrance ? » Il n’a pas tout à fait tort !

Beaucoup de monde mais de bons emplacements de tentes au milieu d’un petit troupeau de vaches nullement troublées par les allées et venues des randonneurs. Puis je m’installe à une table pour y déguster une bière fraiche. Quatre randonneurs me  rejoignent et nous pouvons discuter. Depuis le début nous sommes 4 groupes, si on peut considérer que je constitue un groupe à moi tout seul, qui avons sympathisé et c’est un plaisir de nous retrouver tous les soirs. Ce soir, ils jouent à la belote. La table est animée. Super !

Il fait toujours beau. Quelques passages nuageux sous lesquels la fraicheur est réelle. Globalement le temps est beau. C’est un plaisir d’autant plus que quelques nuages dans le ciel rehaussent le relief des photos. A plusieurs endroits on traverse des bosquets d’aulnes odorants. Ces arbustes denses ne dépassent pas 1.5 mètre de hauteur mais dégagent comme leur nom l’indiquent un parfum très agréable. Entre les pins Laricio, les pins maritimes et les herbes aromatiques piétinées parfois, c’est un camaïeu de parfums associés aux paysages changeants qui réjouissent les sens et récompensent des efforts fournis.

Même si le long des chemins les difficultés techniques et physiques se cumulent et sont vraiment rudes à surmonter pour moi, ce pays est un cumul de beautés qui me fait comprendre pourquoi les Corses sont si fiers de leur pays.

En attendant le repas je vais sur le versant opposé pour prendre du recul pour une photo du refuge et des campements. Le groupe des randonneurs devenus des compagnons de route est sur un rocher et de loin me fait signe de les rejoindre. Ils ont décidé de faire une photo  de nous tous et ont pensé à me joindre à la troupe. Je suis touché même si en fin de compte c’est assez naturel.

Nous dinons d’ailleurs ensemble. Discussions tous azimuts, ce ne sont pas que des marcheurs, on peut discuter de tout avec eux et ils ont beaucoup d’humour. Vraiment un réel plaisir. Les difficultés communes rencontrées soudent un groupe. Et je sais que si l’un d’entre nous se trouvait en difficulté, la réaction de solidarité serait unanime.

Quatorze personnes en tout sur la photo, une belle entente de circonstance.

Le soleil disparait derrière la colline à l’ouest. De suite il fait frais. D’autres randonneurs arrivent encore. Nous sommes vraiment très nombreux. Plusieurs langues parlées, une même passion. Je me répète sans doute mais j’aime cette ambiance. Lorsque deux groupes après-demain doubleront les étapes c’est-à-dire sauteront un refuge quelque chose me manquera. Arthur & Arthur viennent me saluer ce soir car je ne les reverrais pas. C’est étrange comme on peut se lier avec de jeunes inconnus dans ces conditions un peu extrêmes. La vie est faite de rencontres parfois éphémères mais qui marquent. Ce n’est pas du sentimentalisme, juste un peu d’humanité ordinaire

Dans la Serra San Tomaghiu
Pozzines au lac de Nino
Bergeries de Vaccaghia
Le refuge de Manganu
Le long du torrent vers la Brèche
En arrivant à la Brèche de Capitello

Samedi 6 juin 2015, étape 7, Manganu – Petra Piana

Etape facile pour l’ensemble des jeunes, pas si facile pour moi mais aucune n’a été facile depuis le début. Longue montée au début mais dans un décor qui arrive à faire oublier la perte de respiration, les douleurs de dos et d’épaules. Puis accès à la brèche de Capitello en finissant par un névé encore bien dur et gelé parce que dans l’ombre.

Mais les traces de pas sont confortables. Puis c’est grand écran cinémascope sur un cirque occupé en sa partie centrale par 2 lacs, l’un bleu, l’autre vert. Le lac de Capitello et le lac de Melo, dominés par des aiguilles de granit. Une sorte de grande lame ferme ce lieu côté ouest et le sentier serpente tout du long entre des blocs pas toujours faciles à franchir. Mais le point de vue sur le cirque vaut l’effort fourni. De l’autre côté à l’ouest c’est la vallée bordée là aussi par un gigantesque mur constitué de lames de granit sub verticales. Comme il y a beaucoup de passages nuageux, le décor change d’aspect à chaque minute. Je m’y attarde et fait quelques photos. Deux jeunes femmes passent accompagnées d’un chien qui en fait les suit depuis le refuge de Petra Piana et profite des névés pour se rouler dans la neige. Il est parfaitement à l’aise sur ce sentier pourtant bien difficile parfois. Puis c’est une autre remontée jusqu’au col dit de la Bocca Muzzella qui est suivi de la descente vers le refuge.

Vraiment beaucoup de monde à Petra Piana, toutes les couchettes sont prises. Le personnel du refuge sort même des tentes supplémentaires, toutes des tentes Décathlon à montage rapide. J’ai dressé la mienne assez rapidement en arrivant. Heureusement car il y a de moins en moins d’emplacements libres. Je dis assez rapidement car même après avoir posé sac et chaussures je ne suis pas très véloce pendant la première demie heure. Je discute un peu avec les compagnons de route dont trois d’entre eux vont aussi doubler demain pour arriver à Vizzanona où un de leurs amis les attend. Le groupe se réduit.

Demain petite étape. Il existe une variante par les crêtes qui me semble plus intéressante. Je compte passer par là et je ne serais pas le seul selon ce que j’entends ici et là.

Le personnel du refuge de Petra Piana est bienveillant. Etant donné le nombre de leurs clients ils ne peuvent pas assurer le repas pour tous mais un homme aux cheveux et à la barbe gris me convie à venir à 19h15 et pourra sans doute me servir. Ce sera sans doute meilleur que mon repas sorti du bidon.

Les lacs de Capitello et de Melo
Descente vers le refuge de Petra Piana
Dans la lumière matinale, vue sur les crêtes de la variante alpine
Dans la Serra Bianca

Dimanche 7 juin 2015, étape 8, Petra Piana – L’Onda

Hier soir je n’ai pas mangé au refuge. Le gardien m’avait demandé de passer à 19h15. A cette heure-là il y a avait tellement de  monde qui se bousculait autour de la table que j’ai finalement mangé « au bidon » dans ma tente. Il parait que ce n’était qu’une boîte de lentilles réchauffées.

Deux itinéraires au choix.

Le standard en descendant dans la vallée, enfin en suivant un ruisseau puis en remontant vers le refuge de l’Onda.

Ou passer par les crêtes, c’est-à-dire sans descendre mais plutôt en restant à une altitude à peu près constante tout le temps.

Je choisis le seconde c’est plus rapide théoriquement. Mais comme c’est acrobatique et aérien, je ne marche pas vite d’autant plus que je fais de nombreuses photos. Certains passages sont vraiment impressionnants mais comme d’habitude c’est un superbe paysage. En me retournant, je peux voir où je suis passé en fin de journée hier.

Alle Porta, Al sorbi, Lombarduccio, Muzzella, Rotondo, un florilège de beautés. C’est toujours la même impression lorsqu’on voit au loin le point où on est passé. Cela semble bien lointain et impossible … mais vrai.

Arrivé tôt au refuge de l’Onda, c’est bien mais quoi y faire après la douche froide, la tente montée et quelques notes prises ? Aujourd’hui discussion avec GG, Nico et « le couple mixte » avec lesquels nous nous croisons souvent. C’est un couple de jeunes qui se découvrent mutuellement lors de cette épreuve physique et mentale car il faut fournir beaucoup d’énergie mais aussi beaucoup de concentration, de volonté, d’opiniâtreté. Et de confiance mutuelle dans les passages difficiles qui sont nombreux. C’est ce que découvre les deux membres de ce couple. C’est beau, fort et ça me plait bien. Le jeune homme s’est confié à moi pour exprimer tout ça. Sans doute en avait-il besoin.

Réflexions saisies à la volée au refuge :

Un randonneur : Je peux entrer avec mes chaussures ?

Le gardien : Avec les chaussures oui, avec des pieds qui puent non. La boue et la poussière je passe le balai, l’odeur je suis obligé de laver à l’eau …

Deux randonneurs branchent leurs chargeurs de portables. Le gardien arrive : vous avez demandé ? Non ? Alors c’est trop tard maintenant, vous débranchez. Pas d’écart, l’ambiance est droite mais rude dans la salle.

Un randonneur entre avec son sac. Le gardien lui intime de sortir son sac …

Le randonneur : il pleut …

Le gardien : quand vous marchez vous l’avez dehors sur le dos ce sac … merci de votre compréhension.

Le tout avec l’accent corse tranquille mais qui ne laisse place à quelconque réplique.

C’est la huitième étape c’est-à-dire que je suis au milieu du parcours en nombre d’étapes d’après le guide. Maintenant on risque de trouver plus de monde parce que cette partie étant plus facile attire plus de randonneurs qui ne veulent pas affronter les étapes du nord réputées plus difficiles. Bien sûr je suis content que la progression se fasse mais d’une certaine façon, très égoïste sans doute, la perspective de m’approcher de la fin de cette aventure m’attriste un peu.

Ce soir je mange au refuge en compagnie de GG, Nico, Thierry et Pierrot. Ambiance très chaleureuse. En fait, il était temps ! Je reconnais Pierrot et Thierry « le guide et son client » qui me précédaient dans le Cirque de la Solitude. C’est Pierrot qui m’a applaudit avec d’autres et m’a pris en photo à ce moment-là. J’ai un peu honte de ne pas l’avoir reconnu plus tôt. Il n’est pas guide cette fois mais il encadre son copain Thierry dans cette randonnée.

J’apprends par eux deux qu’en fait le gardien du refuge Ciottulu di i Mori est bien un peu ours mais derrière cette façade c’est quelqu’un de bien et son refuge est superbement entretenu. Cela m’apprendra à croire les mauvaises langues et à me fier aux apparences.

Sur les crêtes ...
...plus ou moins "rondes" !
Choucard en sentinelle sur un cairn
De la pointe Muratello, au loin les refuges de l'Onda et de Petra Piana

Lundi 8 juin 2015, étape 9, L’Onda – Vizzavona

Difficile de démarrer avant 7h30. Je vois tout le monde partir avant moi.

La journée commence par une longue montée dont la pente s’accentue à la fin. De 1430 à 2141 mètres d’altitude. Rude mais beau. Le temps est au soleil mais on voit les nuages s’amonceler au loin. Au col très rocailleux plusieurs groupes se croisent. Certains vont vers le sud, les autres vers le nord. Echange d’impressions. Quelques photos. On voit le refuge de l’Onda tout en bas.

Maintenant c’est la descente vers Vizzavona. 1221 mètres de dénivelé. Presque rien ! Je croise plusieurs autres groupes qui montent tandis que le ciel se charge de plus en plus. Un homme me demande des renseignements sur le Cirque de la Solitude. Décidément ce cirque encombre beaucoup l’imagination des gens. Puis il crie à un autre randonneur en train de monter bien plus bas : « il y a un Monsieur qui descend » en parlant de moi bien sûr. En fait il comptait bien se débarrasser de son compagnon en difficulté dans la montée en le confiant au premier inconnu rencontré. Heureusement pour lui il ne va pas jusqu’à me demander de réaliser ce qu’il souhaite. Je lui aurais rappelé vertement les règles de la solidarité en montagne et les règles ordinaires de la civilisation normale. Dans un groupe on est solidaire et on reste ensemble que cela plaise ou pas … ou on vit en ermite. Je l’aurais volontiers envoyé paître comme on dit.

Je continue cette descente interminable. Le tonnerre commence à se faire entendre. Puis avec de plus en plus de présence. Les grondements roulent dans toute la montagne en se répercutant sur les parois qui m’entourent. Je presse le pas avec précaution. Je dois garder le pied sûr. Le sentier n’est pas des plus faciles. Je commence à entrer dans la végétation très verte quand la pluie se manifeste d’abord par de grosses gouttes espacées puis plus rapprochées pour finir par une pluie épaisse, soutenue, persistante et semblant ne pas vouloir s’arrêter. J’endosse ma veste imperméable, rentre l’appareil photo, et dispose la protection étanche de mon sac. Et la descente continue dans cette ambiance très aquatique. La roche est glissante. Parvenu dans la forêt très belle, je n’ai pas le loisir de l’admirer tant je dois rester concentré sur les endroits où je pose les pieds. J’ai l’impression que cette descente n’aura pas de fin. Je marche dans un rideau d’eau dans une semi obscurité slalomant entre des arbres magnifiques et gigantesques. Je longe un endroit appelé Cascade des Anglais qui doit être superbe sous le soleil. Je finis par déboucher sur une buvette ! Déserte et humide. Je m’y arrête pour reposer mon dos et mes épaules, mais je suis pris entre la chaleur de l’effort et le froid de l’ambiance. Le jeune serveur qui doit s’ennuyer ferme me sert une bière bien fraîche. Peut-être eut-il mieux valu qu’elle fût chaude ! Il y a 2 itinéraires à partir de là pour aller à Vizzavona. Il me précise leurs différences. Je choisis celui qui conduit directement à la gare car je sais qu’il y a un bivouac à proximité et j’aimerais bien aller dans une pharmacie pour pouvoir soigner mon pied droit qui me fait de plus en plus mal surtout dans les descentes. Il faut semble-t-il 45 minutes pour arriver à la gare. Toujours sous la pluie. J’hésite un peu à quitter l’abri de la buvette mais je me refroidis et me décide. Le chemin est confortable dans cette très belle forêt et le long d’un superbe ruisseau de montagne. J’arrive à une route très passagère où circulent pléthore de véhicules mais je ne sais pas exactement où je suis. Je finis par trouver des panneaux qui indiquent la direction de la gare et l’atteins enfin. Je saurais le lendemain que j’ai en fait emprunté le GR sud c’est-à-dire une portion de celui qui va vers le sud alors que j’aurais du être sur l’autre qui vient du nord … mystère des chemins.

Juste au-dessus de la gare je trouve l’aire de bivouac dont j’ai entendu parler. Le propriétaire me dit qu’il va pleuvoir pendant 2 jours  et semble me suggérer de rester là jusqu’à ce qu’il ne pleuve plus. Il me précise aussi qu’il est inutile d’essayer de planter des sardines pour ma tente, c’est impossible mais depuis 40 ans il fait avec des pierres. Je veux vérifier ce qu’il m’a dit. Mettre la tente en place est difficile, je suis en effet sur un champ de cailloux. Il fait froid, très humide, il y a d’autres tentes mais l’ambiance est à la température de la météo. Même s’il pleut demain je ne resterais pas 2 jours dans cette atmosphère « tue le moral ».

Une fois la tente enfin installée tant bien que mal je mets les seuls vêtements secs que j’ai, pantalon « de voyage » et doudoune, et me rends à la gare où je vois GG et Nico attendant un train sur le quai. Et le train arrive aussitôt. Je vois la réceptionniste et lui demande un billet aller-retour pour Corté. Elle demande au train de m’attendre ! Et me vend illico le billet demandé. Et me voilà parti vers Corté. Je retrouve aussi dans le train Pierrot et Thierry. Le train traverse un paysage de ravins et de montagne à couper le souffle, il est très lent, on comprend pourquoi. Il ne pleut plus et on va vers le soleil. A Corté, avec GG et Nico, nous allons vers un magasin d’articles de sports, eux pour les chaussures de Nico qui ont rendu l’âme, moi pour un pantalon. Le mien s’est troué au contact de la roche abrasive. Je refais le plein d’argent liquide qui commençait à manquer et je vois une charmante pharmacienne qui me conseille ce qui convient pour mon pied droit. C’est une sorte de cor très douloureux. Près de la gare j’achète quelques victuailles pour demain.

Retour à Vizzavona où nous mangeons ensemble près de la gare dans un restaurant sympa bondé de randonneurs. Service un peu débordé. Je regagne ma tente humide à 22 heures.

... sous la pluie en descendant vers Vizzavona
La passerelle de Turtettu
Ça y est, on passe dans la partie sud du parcours !
A la Bocca de Palmentu

Mardi 9 juin 2015, étape 10, Vizzavona – E Capannelle

Je quitte Vizzavona à 7h30, encore tard.

C’est là que je m’aperçois que le chemin suivi hier sous la pluie est en fait celui que je dois suivre pour quitter Vizzavona vers le sud. Comment m’y suis je trouvé en venant du nord ? Mystère.

Au début c’est une piste forestière. Un jeune couple me précède, je ne réfléchis pas et les suis, mais ils se trompent et moi aussi, bien sûr. On passe une bonne demi-heure pour retrouver le bon chemin qui en fait est bien balisé, il suffisait d’être attentif !

Montée de 800 mètres d’un seul tenant. Là aussi c’est un peu rude même si le chemin dans la forêt ressemble plus à ce qu’on peut imaginer d’un chemin de randonnée beau et ordinaire. Après le col de la Bocca Palmente c’est un très long chemin en forêt en pente faible.

Le ciel se couvre. Les nuages qui s’amoncellent sont les cousins proches de ceux d’hier. De plus en plus noir le ciel se met à gronder avec de plus en plus de présence. Je presse le pas. Je n’ai pas envie de renouveler l’expérience de marche aquatique d’hier. La pente se finit par une montée qualifiée « d’assez raire » dans le guide. J’en avais déduit qu’il doit s’agir d’un mur, je ne suis pas détrompé.

Arrivé au refuge d’e Capanelle, je prends un espace pour la tente. La monte le plus rapidement possible. Le terrain est bien meilleur que celui d’hier soir. A la seconde où j’ai rentré tout mon matériel, la pluie commence. Ouf ! Je ne regrette pas mes calories dépensées pour éviter la marche sous la pluie. Je m’abrite, ferme la tente, organise mon minuscule univers … et m’endors. Une petite heure de récupération. Puis je gagne la salle du bon restaurant où je bois une Pietra. Ici c’est une station de ski, encore une.

Dans la partie haute de la station il y a un refuge où sont GG et Nico, dans la partie basse du gite U Fugone ou gite d’e Capanelle où sont Pierrot et Thierry. La zone du bivouac est gérée par la famille Maurizi de l’hôtel tout proche.

Pierrot, Thierry et moi mangeons ensemble au gite. Pour seize euros, énorme soupe de légumes plus que variés avec des pâtes, puis veau en sauce en quantité et 2 morceaux de polenta au blé et au maïs. Pour finir soit une énorme part de gâteau au chocolat, soit une part de fromage local. Bref c’est une adresse à conseiller. De plus le personnel est bienveillant et charmant.

Après le repas je fais une petite promenade sur le flanc de la montagne derrière le gite. Je suis attiré du bas par un énorme pin Laricio qui tombé vit encore, une partie de sa souche et de ses racines encore en terre. En montant je tombe en arrêt devant une souche près du sentier. Elle est énorme, décapée par le temps et les intempéries. Extrêmement torturée, elle tient de l’œuvre d’art naturelle et m’évoque les mains tendues vers le ciel du White Palace de Tchang Raï en Thaïlande. Je suis émerveillé par cette œuvre de la nature.

Toute la vallée et la montagne en face du gite sont plongées dans les nuages mais il parait que nous sommes devant 2 jours environ de beau temps. Super pour la suite de la randonnée. Après nous verrons bien, d’autres jours viendront.

Le frais se fait sentir avec insistance. Je vais me coucher dans mon boudoir intime et personnel.

Long chemin ...
... dans la belle forêt
Les sentiers du "sud" sont vraiment très différents
même s'ils sont loin d'être "tout plats"

Mercredi 10 juin 2015, étape 11, E Capannelle – Prati

Pour une fois je parviens à démarrer à 7 h !

Il faut dire que j’ai besoin de 1h30 pour déjeuner, plier la tente et tout ce qui va avec.

Tout d’abord long parcours en forêt sur joli chemin mais c’est long et malgré la beauté des arbres et la diversité de l’environnement c’est un peu monotone par rapport aux étapes du « nord » qui faisait beaucoup plus « haute montagne ».

Mais la journée de marche se termine par une montée sévère avant d’accéder au col de Verde qui conduit ensuite tranquillement au refuge de Prati. J’arrive un peu avant 15 heures. Au fur et à mesure d’autres randonneurs arrivent aussi. Les tentes louées ou amenées poussent comme des champignons après la pluie. Un véritable village de toiles est maintenant installé sur une prairie dense et taillée parfaitement par les mules qui y paissent en liberté. Avant le repas Nico et GG nous invitent, le couple mixte et moi, à boite un Ti ‘punch ! Ils ont transporté une bouteille de rhum depuis Bastia … en verre. Je fournis du saucisson de Corté et des amandes du Maroc. Apéro très sympathique sur cette pelouse. On entend encore l’orage vers l’ouest tandis que des nuages venus de l’est passent au-dessus de nous et obstruent complètement le côté oriental de la montagne. Petits rayons de soleil éphémères mais très chauds. J’espère qu’ils seront suffisants pour faire sécher le linge que j’ai lavé à l’eau glacée de la source avec une savonnette d’hôtel.

Après une deuxième tournée de Ti ’punch c’est le premier service à la cantine, je mangerais au second. Un peu de charcuterie corse pour commencer avec un gros morceau de pain puis c’est du veau sur une montagne de pâtes aux champignons. C’est bon et ma part serait suffisante pour trois personnes. Un morceau de fromage pour terminer. J’arrose le tout avec de l’eau de source et une Pietra. De quoi passer une bonne nuit.

J’apprends qu’il y a eu un accident dans le Cirque de la Solitude. Sans doute dû à l’orage, un effondrement aurait fait trois morts (*) et deux blessés graves. J’appelle mon épouse pour rassurer la famille au cas où elle aurait eu l’information. Puis mon fils dont c’est aujourd’hui l’anniversaire.

Le soleil est parti, la fraîcheur arrivée. Il est trop tôt pour dormir mais je n’ai rien d’autre à faire !!

(*) En fait, c’est terrible, il y en aura 7.

On se rapproche de la mer
Au petit matin, annonce d'une belle journée

Jeudi 11 juin 2015, étape 12, Prati – Usciolu

Etape agréable. Beau panorama sur les côtes est de la Corse. Une bonne montée mais dans l’ensemble assez facile. J’apprends que le bilan de l’accident du Cirque s’est alourdi. Un couple rencontré au refuge et qui parcourt le GR du sud en nord est inquiet. Je les comprends. Je leur signale la navette possible pour sauter cette étape et qu’ils auront des informations dans les refuges avant d’y arriver. La dame aimerait bien ne pas passer par là. Le monsieur a déjà trouvé certains passages en crêtes difficiles. Il vaudrait mieux en effet qu’ils n’essaient pas ce passage critique même s’il est encore accessible.

Depuis ce matin mon appareil photo ne fonctionne plus. Je ne sais pas s’il s’agit du boitier ou de l’objectif. Cela ne me met pas de bonne humeur et je n’aurais plus de nouvelles photos jusqu’à la fin du voyage, mais je me console en sachant qu’il y a pire.

Conséquence immédiate : je marche plus vite !

Le bivouac du refuge d’Usciolu est sympathique mais il n’y a pas beaucoup de place pour les tentes personnelles. Par contre un grand nombre de tentes à louer sont déjà installées. Le site est tout en pente sur une arête rocheuse sur laquelle m’installer est difficile. Mais par contre il y a des douches chaudes, enfin tièdes. Un chauffe eau solaire surement et c’est très appréciable.

Vendredi 12 juin 2015, étape 13, Usciolu – A Matalza

Lever à 5h40. Petit déjeuner rapide « au bidon », rangement du bivouac, toilette.

Départ à 7 heures.

En direction du sud le ciel est terriblement couvert. J’ai l’intention de bien marcher. L’appareil photo est rangé dans mon sac à dos pour ne pas gêner ma marche plutôt qu’habituellement dans une banane ventrale trop volumineuse.

J’ai un pincement au cœur en pensant à cet appareil dont je dois reconnaître une dépendance à son encontre. Je marche bien. Début par une montée jusqu’au col à 1782 mètres et je continue par les arêtes. Deux hommes m’ont doublé pendant la montée, je les double à mon tour sur les arêtes. J’ai un turbo dans les jambes ce matin. Le ciel se couvre vraiment beaucoup. De gros nuages noirs se rapprochent à vue d’œil et je vois la pluie qui se déverse au-dessous d’eux. Je m’arrête, une seconde de réflexion : demi tour. Toujours avec le turbo. Le chemin me semble plus long dans ce sens, j’avais bien avancé. Je ne cours pas mais je n’en suis pas loin. La pluie me rattrape. Je croise des randonneurs abrités au mieux contre des rochers. Je redescends jusqu’au refuge toujours sous la pluie. Je dévale jusqu’à la zone de bivouac. Celle d’hier n’était pas la meilleure, je descends plus bas et en repère une belle. Elles sont toutes libres, tout le monde est parti … sous la pluie. Celle-ci s’arrête un moment. Parfait, je monte ma tente. A 8 heures elle est prête et moi dedans. Cette dernière heure a été intense. Mais je crains que le long de la journée le soit beaucoup moins. Pendant que je montais mon abri la pluie s’est ralenti et le vent est parvenu à sécher mon imperméable et quasiment mon pantalon. Dans ma minuscule tente je m’organise. La pluie est revenue. Merci pour la précédente accalmie.

Je pense à Nico, GG, Pierrot, Thierry et au couple mixte qui doivent marcher sous la pluie. Je ne sais pas si j’ai pris la bonne décision. En tous cas j’aurais bien aimé faire encore un bout de route avec eux. Ce n’est pas du sentimentalisme mais je les ai bien appréciés. C’était bien de les connaître. Je sais que la vie est faite de rencontres. Ephémères quelquefois. Celles-ci auront été marquantes pour moi. Mais selon l’expression consacrée avec un côté parfois exécrable : « c’est la vie ».

Je refais le point des étapes restantes pour terminer le périple. J’ai largement le temps pour prendre mon avion de retour samedi 20. Je vais donc continuer lentement en 3 ou 4 étapes, je ne sais pas. Cela dépendra du temps et de mon humeur ! En ce qui concerne mon humeur, je peux maitriser. En ce qui concerne le temps c’est beaucoup moins sûr !

Financièrement cela ira j’ai assez de liquide si je suis raisonnable.

Obnubilé par mon appareil photo, je le teste à nouveau sous ma tente. Il fonctionne ! Que sait-il passé ? Fonctionnera-t-il vraiment demain et plus tard ? Impossible de le savoir. J’aimerais avoir une certitude parce que j’en aurais besoin en Thaïlande dans 15 jours.

10h30. J’ai dormi. La pluie et le vent sont toujours bien présents, parfois des rafales semblent vouloir emporter la toile mais elle tient bon … pour le moment.

11h45. Je monte jusqu’au refuge où je trouve le gardien très sympathique. Nous discutons du temps bien sûr. Il estime que j’ai pris la bonne décision de ne pas rester sur les crêtes pendant l’orage. C’était très exposé. En effet j’entendais les grondements juste au-dessus de moi. Pas rassurant.

Le gardien nettoie les abords de son refuge jusque dans les moindres recoins. Il n’apprécie pas les gens qui jettent de tout n’import où. Moi non plus.

Je lui achète du fromage et du pain. Les 2 sont savoureux puis je décide de partir tant que le temps ne revient pas à l’orage. Pliage de la tente et rangement à nouveau. Le plus vite possible.

12h24, je salue le gardien et m’en vais.

Tout d’abord le cheminement suit la crête dont je connais déjà la première partie depuis ce matin. Elle est orientée NE-SW et comme le vent violent maintenant est de SE, la face Est est  sous le vent, on y subit des bourrasques terribles tandis que de l’autre côté, à l’ouest, c’est tranquille et silencieux. Le chemin passe alternativement d’un côté et à l’autre de la crête. On peut donc comparer entre violence et quiétude.

La crête passée, c’est une forêt d’aulnes d’abord puis de hêtres très grands dont les plus vieux sont parfois à terre. Le carrefour qui mène vers le refuge d’Asinau est très marqué dans une grande clairière immanquable. Je serais passé par là si j’avais pu partir plus tôt mais finalement j’irais au refuge d’A Matalza que je comptais éviter. Mais j’ai le temps. De plus Nico avait réservé le gite pour lui et GG et m’a proposé d’en profiter. En fin de compte j’apprécie d’autant plus que le vent toujours aussi violent ne m’incite pas à monter la tente même si cela la ferait sécher. Pour ce point de vue là on verra demain à Asinau.

Je retiens 1 repas pour ce soir. Dans le dortoir 2 couples et moi. Je suis surpris car dans le réfectoire il y a 19 personnes, où dorment-elles ? Dans les bungalows sans doute. Le gardien travaille avec sa femme et avec son fils. Le repas est très bon : généreuse tranche de pâté, bœuf en sauce avec des légumes très copieux, 1 tranche de fromage un peu jeune à mon goût et une pomme golden pas assez mûre. Bon repas tout de même. Le gardien met de l’animation et fait rire tout le monde avec ses plaisanteries.

Au moment de payer je lui rappelle que je remplace Nico, il semble ne pas vouloir en tenir compte mais sa femme demande qui je remplace et ne me fait payer que le repas et ce que je lui demande en plus de son épicerie. Le gardien amuseur serait-il aussi un peu filou, ou n’avait-il pas compris ?

Tout le monde a décidé de partir tôt. Etant donné la courte durée de l’étape qui m’attend, je n’ai pas l’intention de me lever à l’aube. J’improviserais.

Ce refuge tranche avec tous ceux que j’ai vus jusqu’à présent sur ce GR car il n’est pas en un site montagneux. En fait il est perdu au milieu des forêts et le chemin qui y amène par le nord est balisé de tâches oranges disposées un peu anarchiquement mais efficaces tout de même par leur nombre surabondant. Cela mène le long de ruisseau en forêt dans un décor bucolique. Pour le dortoir, il n’y a qu’une salle d’eau avec lavabo, WC et douche. Ce pourrait être mieux en les séparant et il ne faut pas prendre de douche pendant qu’à la cuisine on fait la vaisselle. Rustique sans doute, la bonne humeur du gardien fait passer tout ça.

Dans la nuit le vent s’est totalement calmé. Le silence conséquent est troublant. Pas un seul bruit. Le contraste est étonnant par rapport au vacarme du vent déchainé de la journée. Serais-je devenu encore plus sourd ? Silence aussi du côté des 4 autres personnes qui dorment dans le dortoir. Ce matin le vent s’est un peu relevé mais discrètement. A 6h40 cela ne bouge que très peu dans les sacs de couchage. L’étape du jour est courte aussi je ne me précipite pas mais il faudra bien bouger un peu. Allez courage  marcheur. Les chemins t’attendent.

Samedi 13 juin 2015, étape 14, A Matalza – Asinau

Départ tranquille à 8 heures.

D’abord un long chemin avec temps couvert.

De jolis ruisseaux suivis en parcourant des « pelouses » que l’on croirait entretenues comme des terrains de golf, ce sont les pozzines. De petits ruisseaux les traversent selon des méandres très nettement marqués. L’eau est claire et dans les plus gros cours d’eau des poissons sauvages s’enfuient à mon approche. Des truites ? Après les forêts clairsemées qui abritent de gros blocs sphériques de granite ce sont des collines toutes rondes, sortes de landes balayées par un vent qui semble empêcher de pousser toute végétation de haute taille. Peu de monde sur cette partie de la randonnée. Après 2 heures de bonne marche, j’atteints le col du Monte Incudine à 2025 mètres. Il est dénudé et constitué de roches toutes de formes arrondies sur lesquelles un vent violent interdit toute pause tranquille. Je cherche un endroit abrité mais c’est cause perdue. Finalement, le col passé, en vue du refuge loin en contrebas, je me colle contre un rocher sur une corniche surplombant le chemin. Le vent y est relativement plus tolérant mais comme j’ai transpiré, je n’ai pas chaud. Aussi après une courte collation je reprends la route sous les yeux d’une femme étonnées de me voir sortir de ce lieu où rien ne semblait attirer quelqu’un. Elle est de la Réunion et a de la famille en Corse. Famille insulaire de montagne donc.

La descente vers le refuge est raide avertit le guide qui conseille la prudence. Ce conseil est superflu tellement certains endroits sont exposés et d’autres constitués de blocs arrondis qui ne demandent qu’à rouler dès qu’on pose le pied dessus.  Pendant cette descente éprouvante pour les genoux, le vent a disparu et le soleil dispense une bonne chaleur bienvenue comparativement à la situation ventilée au col. J’en avais les doigts blancs de froid, mais ce n’est pas seulement dû au vent, je suis aussi mis en cause mais je ne crois que ce soit la maladie de Raynaud, il faut que j’en parle à mon toubib.

En arrivant au refuge d’Asinau il y a quelques personnes présentes qui attendent le gardien. Un marcheur me souffle en confidence que ce gardien n’est pas très sympathique. Je trouve un emplacement et y étend ma tente pour la faire sécher de la pluie d’orage d’il y a 48 heures. Dix minutes plus tard elle est sèche. Je prends une douche froide mais pas glacée alors que je l’attendais au moins tiède à la vue du chauffe-eau solaire quelques mètres au-dessus.

Cette douche me fait un bien fou.

Je reviens au refuge où le gardien est maintenant disponible. C’est un jeune homme barbu à casquette tout à fait charmant. Comme toujours rencontrer les gens est bien meilleur conseilleur que se limiter aux bruits de couloirs facilement mal intentionnés. Plusieurs groupes arrivent ensuite. Des têtes déjà vues pendant les étapes précédentes. Quelques échanges comme toujours bien sympathiques.

Mon appareil photo, qui a bien voulu fonctionner pendant la journée pour quelques clichés, est à nouveau en panne ce qui est dommage. La vue sur la vallée dominée par le refuge est splendide. D’un côté, de la roche très ronde avec des lichens verts, de l’autre une montagne très fracassée qui se termine par des aiguilles dominant le tout. Plus bas la forêt de résineux envahit les 2 flancs bien que plus dense sur l’adret ensoleillé exposé à l’ouest.

Entre 18h et 18h30, quarante personnes arrivent au refuge. Nous devons être près d’une centaine je pense. Un véritable village suspendu sur le flanc de la montagne. Au moment du repas en 2 services, c’est l’affluence. Le repas est bon et copieux. Trois rondelles de charcuterie corse. Excellente avec du pain fait sans doute avec de la pâte congelée croustillant et bon. Un plat de lentilles avec des rondelles de charcuterie. Il y en a au moins 3 louches pour chacun ce qui est plus que suffisant. Mon voisin en face en prend 6. Quel estomac ! Puis un morceau de fromage et un ramequin de compote de pomme. J’y ajoute une Pietra. C’est bon tout ça pour dormir maintenant. Le camp est en pleine effervescence mais à 21 heures c’est le calme religieux des montagnes.

Tout le monde dort ou fait silence. Seul le vent qui s’est levé fait battre les toiles des tentes. Au crépuscule des nuages montent du sud et franchissant la crête devant moi se déversent dans la vallée en caressant la cime des arbres avant de s’évaporer dans l’air. C’est un spectacle fascinant et rapide. Comme un film en accéléré. Mieux que la télé !!

Refuge et bergeries d'Asinau
La Punta di Maro dans les nuages
Sous la pluie, vers les aiguilles de Bavella
Vue enfin dégagée vers la Punta Tafunata di i Paliri

Dimanche 14 juin 2015, étape 15, Asinau – I Paliri

Départ à 7 heures. Pas trop mal, il me faut toujours 1h30 pour me préparer.

Les sommets et la vallée sont encombrés de nuages qui n’ont pas l’air de vouloir s’en aller ! Je compte passer par la « variante alpine » c’est-à-dire par les aiguilles. Cet itinéraire fait gagner une heure sur le chemin normal mais est sportif car passant par des escalades dont l’une aménagée avec des chaines. Les points de vue sont annoncés comme enchanteurs par ceux qui l’ont parcouru dans l’autre sens hier. Je pars donc dans une ambiance humide mais sans pluie. Bientôt quelques roulements de tonnerre annoncent le spectacle qui se prépare et sans surprise la pluie arrive. Constante, insistante, insidieuse. Je mets la protection sur le sac, puis imperméable et pantalon étanche sur le bonhomme. Comme le rythme pluviométrique augmente, je fais une pause contre le tronc d’un énorme pin mais cela ne sert à rien. Aussi je reprends la route dans cette ambiance liquide. Arrivé au carrefour de la variante je l’emprunte sans hésiter espérant une éclaircie pendant ce cheminement. D’abord c’est une vaillante montée pendant laquelle je suis aussi mouillé dedans que dehors et je n’y vois goutte tant j’ai de buée sur les lunettes. Je croise quelques randonneurs aussi chanceux que moi.

Ils ont l’apparence de fantômes dans cette brume épaisse. Je dois aussi avoir l’air d’une serpillière mobile. Arrivé au point le plus haut, j’ai la chance d’apercevoir le soleil voilé pendant moins d’une minute. Cela suffit pour que j’entrevoie mon ombre et que je ressente une chaleur bienfaisante mais bien trop éphémère. Le vent est violent depuis la fin de la montée, je suis frigorifié malgré toutes mes calories dépensées. Puis arrivent les passages « alpins ». Je ne vois que roches glissantes et repères de la piste que je dois chercher dans le brouillard. Si la vue sur la baie de Porto Vecchio est superbe, je ne le saurais qu’en regardant les cartes postales.

Finalement j’arrive à Bavella sans avoir perdu de temps en photographies ! Je traverse la partie civilisée où pléthore de restaurants tente d’arrêter le touriste et où il est curieux de voir des voitures tant c’aurait été incongru tout au long du chemin.

Je m’arrête à la reprise du sentier pour manger un peu, il est midi. Il ne pleut plus mais j’ai froid. J’entraperçois furtivement les aiguilles de Bavella mais c’est trop bref pour une photo.

Continuation avec 200 mètres de descente suivis de 200 mètres de montée raide mais sur un chemin agréable. Cette fois pas de brouillard, le soleil est sorti et des passages nuageux chargent le ciel de beaux graphismes. La montée dans la forêt de résineux est magnifique. Enfin quelque chose à voir et cela me réchauffe. Super. Passé la crête je découvre un nouveau spectacle fait d’aiguilles de roche verticale et d’arbres magnifiques. Le chemin jusqu’au refuge I Paliri est superbe.

L’aire du refuge dans une belle forêt clairsemée domine des vallées encaissées surmontées de montagnes sauvages verticales avec des aiguilles dont l’escalade ne peut qu’être réservée aux spécialistes. Arrivé à I Paliri, je trouve une aire magnifiquement placée pour passer la nuit dans mon « home » portatif. Je m’installe. Il y a un peu de vent mais le soleil me réchauffe. C’est une renaissance et un vrai plaisir. Côté sud-est je vois la mer à portée de main.

Demain dernière étape de l’aventure.

Seize jours c’est beaucoup et ce sera bien de me reposer un peu, mais j’ai tellement d’images en tête, tellement de surprises aux détours des chemins que j’envie presque ceux que je croise et qui commence leur aventure dans l’autre sens.

Mon dos, mes jambes, mes épaules, mes pieds seront certainement satisfaits d’arrêter demain soir.

Bivouac de Paliri
Dans les brumes mouvantes
Vues matinales

Lundi 15 juin 2015, étape 16, I Paliri – Conca

Ça y est, c’est la dernière.

Plaisir de se reposer opposé à regret que cette aventure prenne fin.

Faut choisir Bob ! C’est déjà pas mal ce que tu as vécu non ?

Le paysage de la journée tient de plusieurs régions rassemblées. Des aiguilles de granite verticales qui s’élèvent isolées ou en massif, des gros blocs arrondis comme des jeux de boules abandonnés par des géants désœuvrés, des parcelles de pins Silvestre étêtés tous à la même hauteur comme par une faucheuse de titans.

Une végétation de garrigue, au loin la mer et les iles. Le chemin n’en finit pas de descendre le long du flanc de la montagne, puis au détour du passage de la Bocca d’Usciolu large comme une porte d’appartement, c’est la vue sur Conca.

De loin c’est un village disposé sans grand intérêt architectural. En fait comme la déclivité du terrain est intense, les maisons sont construites à des niveaux différents et ne sont pas voisines sauf autour de l’église ce qui constitue un semblant de centre.

Le gite de Conca est vers le bas du village. C’est un hôtel restaurant qui a aussi une aire de bivouac. Avec douche chaude, un régal oublié !

L’aire de camping est ombragée à niveaux horizontaux. Facile de bien monter sa tente. J’y rencontre pendant ma lessive un couple de mon âge environ qui se prépare à parcourir le GR du sud au nord après l’avoir connu dans l’autre sens il y a 42 ans. Nous échangeons un peu. Ils sont savoyards et viennent en Corse régulièrement.

Après montage de la tente, douche et lessive je m’installe à une table avec une bière pression plus chère que dans les refuges. Comprenne qui peut. C’est la Corse.

A la table voisine le groupe des 7 randonneurs arlésiens qui me suit depuis Vizzavona est toujours aussi bruyant. Ils se sont lancés dans un repas bien arrosé avant même d’avoir pris une douche ! Levers de verres et embryons de chansons se succèdent. Ils sont bien chauds et envisagent de remettre bientôt cela dans la partie nord. Une bande de copains qui ont du plaisir à faire quelque chose ensemble. C’est bien !

Mon appareil photo remarche normalement apparemment. J’espère que ce n’était qu’une fausse alerte. Aussi je me lâche sur le déclencheur. A la fois parce que le paysage le mérite et aussi pour être sûr qu’il ne me lâchera pas en Thaïlande dans 15 jours. Hier soir j’ai mis mon téléphone en marche car plusieurs personnes téléphonaient du refuge. J’avais plusieurs messages pas tous audibles de personnes qui demandaient de mes nouvelles. C’est sympathique, j’ai envoyé un SMS circulaire pour rassurer tout le monde.

Le groupe voisin a terminé le repas. J’entends la serveuse annoncer le prix : 43.50 euros pas personne. Ils se sont bien lâchés et peuvent maintenant aller prendre leur douche. Je discute avec l’un d’eux qui a connu Ansel Adams et Robert Doisneau lors de stages photographiques de juillet à Arles, je l’envie beaucoup.

Je vais aller faire un tour de village car j’ai appris du guide de randonnée qu’il y a des choses à voir.

La maison du GR20 n’existe plus depuis 3 ans et le musée du costume traditionnel depuis encore plus longtemps ! Bravo le guide ! A moins que ce soit volontaire. Rien ne m’étonne plus ici.

Retour à la tente.

Je discute avec mes voisins de tente, les savoyards qui débutent le GR20 demain. Nous dînons ensemble, nous sommes tous trois en demie pension de bivouac. Repas très sympathique avec échange d’informations sur le GR20, la Corse et bien d’autres sujets. Ils sont tous 2 retraités, lui de la métallurgie, entre autres remonte pente et équipement de montagne. Ils ont une multitude d’anecdotes concernant la Corse où ils viennent très régulièrement depuis leur mariage et il faut reconnaître que l’île a bien changé poussée par l’esprit du commerce et l’afflux des touristes porteurs de devises.

Demain je prendrais la navette du gite qui m’amènera à Porto Vecchio où je trouverais un bus pour Bonifaccio. Il y a un camping près du port qui jouxte la ville. Exactement ce qu’il me faut.

Après la montagne et ses conditions un peu précaires, la civilisation touristique et son confort, je pourrais comparer ! Le terrain de camping s’est peu à peu aujourd’hui rempli de tentes de randonneurs qui partiront de bonne heure demain matin.

Ma navette de Conca est à 9h30 pour Bonifaccio, puis à 13h à Porto Vecchio. Je suis couché comme les poules avec le rythme habituel de la montagne.

En approche de la
Bocca d'Usciolu
Lente rencontre
Et voilà, c'est fini !
Cimetière de conca

Mardi 16 juin 2015

L’habitude du lever tôt. A 5h30 je suis réveillé, d’autant plus que j’entends les voisins faire leurs préparatifs.

Mais c’est si bon de lézarder dans son sac de couchage que je ne bouge pas d’un cil. Mais bientôt l’appel de la nature aidant je me lève pour voir que je dois attendre 7h30 pour le petit déjeuner dans le gite.

Le cimetière de Conca est à 2 pas, la lumière du matin est très belle.

Ce cimetière est émouvant, il est peuplé de tombes anciennes semblant tombées dans l’oubli mais il est évident que le cimetière lui-même n’est pas négligé. L’herbe y a été tondue récemment. Beaucoup de tombes ont disparu sous la terre et le temps les a peu à peu effacées. Néanmoins il  en demeure quelques unes qui sont devenues très humbles, discrètes. La plupart des noms ne sont plus visibles, cela me rappelle l’humilité et le quasi anonymat des cimetières musulmans. Sur plusieurs d’entre elles est encore visible une tête de mort surmontant deux tibias entrecroisés. C’est surement traditionnel ici mais surprenant pour moi. J’aimerais bien connaître la signification de ce symbole. Peut-être tout simplement le signe de la mort naturelle qui n’est qu’un prolongement de la vie terrestre. J’essaierais d’en savoir plus sur le sujet.

Le petit déjeuner est très correct et j’ai perdu l’habitude de le prendre assis confortablement à une table !

Bivouac rangé, j’ai encore une demie heure d’attente avant le départ de la navette. Je prends un café et ces notes. Aux murs de la salle de restaurant il y a des photos intéressantes prises le long du GR20. J’espère que j’en aurais aussi de belles dans ma moisson d’images. Il y a aussi des reproductions d’anciennes affiches  comme on pouvait en voir sur les publicités de voyages au milieu du vingtième siècle. Quelques photos en noir & blanc représentent la montagne hivernale avec des alpinistes qui font la trace sur les sommets. Elles sont dignes des photos des Alpes.

La navette de Porto Vecchio démarre à 9h30.

A l’arrivée à la micro gare  routière, un affichage indique le départ à 12h pour Bonifacio. Mais en réalité ce sera 13 heures. J’y rencontre un couple plusieurs fois vu en randonnée. Ils vont à Figari prendre un avion pour retourner en métropole. Je cherche à acheter un journal pour renouer avec la civilisation mais il semble que le touriste moyen soit plus intéressé par bien d’autres choses que par la lecture. Je dois monter jusqu’en haut de la ville pour enfin trouver une boutique qui a un rayon minuscule d’une dizaine de journaux. J’y trouve quand même Libération en 2 exemplaires et les articles que j’ai le temps de lire dans l’attente de mon bus me font regretter d’avoir quitté mon insouciance de la montagne.

Enfin le bus arrive. A Bonifacio je me rends au terrain de camping que l’on m’a indiqué près du port. Il est bien et propre, son seul défaut est la proximité de la route sur laquelle circulent des véhicules un peu bruyants et l’aire des tentes est proche des sanitaires.

Pratique certes, mais animée un peu à toutes les heures. Je visite la ville qui vaut effectivement de s’y promener. Plein de petites rues dont la majorité est animée par une myriade de restaurants et de boutiques pour touristes. La ville perchée sur un promontoire entouré de falaises domine la mer d’une belle hauteur. Le port tout en longueur est essentiellement dédié au tourisme. Une belle brochette de superbes yachts y est mouillée.

Quelques bateaux de pêche aussi et bien sûr de nombreuses embarcations à louer et les bateaux qui proposent des sorties en mer et des visites des îles, des grottes de cette belle côte. Une des visites me plairait bien mais elle est assez chère de mon point de vue, je réserve mon budget pour plus tard en famille en Thaïlande.

Je trouve une petite épicerie. M’y approvisionne et retourne au camping pour manger. Il est 17 heures et j’ai faim ! Deux randonneurs à peine sortis du GR20 sont aussi en tente. Nous entamons la conversation. Echange d’impressions comme d’habitude. Un jeune nous entend et se joint à nous. Il n’a pas pu suivre la totalité du circuit et semble choqué, il était  dans le Cirque lors de l’accident et connait des victimes. Il y a de quoi être déstabilisé.

Je retourne en ville pour profiter de la lumière de fin de journée et me couche vers 21 heures.

Bonifacio

Mercredi 17 juin 2015

Dans la nuit il pleut assez fortement mais cela ne m’empêche pas de dormir.

Lever à 7 heures. Je parcours à nouveau les rues hautes de la ville qui sont encore quasi désertes. Les enfants partent pour l’école. Les livreurs approvisionnent les boutiques, les boulangeries … Je trouve un « pain des morts » dont je mange la moitié pour le petit déjeuner et prends un chocolat chaud dans un bar dont la terrasse domine la mer du haut de la falaise. Le pain des morts est appelé ainsi parce qu’il était traditionnellement fait lors de la Toussaint. Il est fait de farine, levure, beurre, sucre, œufs, lait, raisins secs, noix, citron. Léger quoi ! Et délicieux. Pendant que je prends ces notes on livre un congélateur au bar. Les installateurs semblent peu motivés et aussi adroits que des manchots. Il y a déjà des rayures sur les parois extérieures du congélateur neuf. Je ne prendrais pas ces deux hommes dans une équipe pour mon travail !

Je passe l’après-midi en promenade le long des falaises au nord de la ville. Je me trouve de fait de l’autre côté du port et je peux voir la ville avec tous les bateaux qui défilent à mes pieds dans une eau limpide aux multiples reflets bleus.

Le chemin suit le haut des falaises et conduit à des plages magnifiques et désertes. Il fait beau. Quelques passages nuageux dont l’un accompagné d’une averse de grosses gouttes pendant quelques minutes.

Je rencontre un jeune couple de randonneurs avec lequel j’ai partagé un grand nombre d’étapes et qui m’avait doublé 2 étapes avant la fin. Un couple très agréable avec lequel j’ai plaisir de discuter à nouveau.

Retour au camping et après quelques courses. Dîner à la tente en discutant avec mes voisins eux aussi randonneurs. Coucher à 21 heures. Je m’endors de suite.

Bonifacio
Reflets des bateaux luxueux de Bonifacio

Jeudi 18 juin 2015

Dernière journée à Bonifacio.

Ce soir, concert polyphonique. Cela me fera un changement et demain lever tôt car je dois prendre le bus de 7h10.

Près de ma tente, depuis hier soir un couple d’anglais avec leurs 2 enfants, fille et garçon de 10 à 12 ans. Tous voyageant à vélo avec 2 tentes. Ils sont physiquement taillés comme des fils, tout en muscles sans un gramme de trop. Les enfants sont dressés somme des animaux de cirque. On ne vit pas dans la même famille. Le garçon a emballé ses chaussures avec un peu de sable, il est prié de nettoyer ça avant de partir. Le rangement du camp se fait sans une parole, sans un sourire. Chacun à sa tache. Tout est réglé, ordonné, prévu, rodé. Les vélos sont chargés. Le départ est imminent. Ils sont tous habillés de vêtements de cyclistes très serrés qui mettent en évidence leurs muscles sans une once de graisse. Ils me font penser à ces mannequins anorexiques dont la beauté est discutable. Je n’aimerais pas faire partie de cette famille. Plusieurs fois, en allant nettoyer ses chaussures ou aux toilettes, en passant devant moi le jeune garçon me lance un regard inexpressif que je ne sais pas interpréter.

Petite promenade le long du port et dans les rues de la haute ville comme cela devient déjà une habitude. Les rues me plaisent toujours et je découvre qu’il y en a encore que je ne connais pas ! Petit déjeuner dans un bar avec les falaises pour décor. Pas si mal que ça !

Longue promenade dans les rues et les falaises du sud. Retour au camping pour manger. Temps de repos en lecture du livre écrit par l’écrivain corse Marc Biancarelli que j’ai acheté ce matin. Retour en ville, je ne m’en lasse pas. Photos pour changer. Je décide de m’offrir un repas au restaurant. Moules – frites, c’est abordable et pas mal du tout. J’attends l’ouverture de l’église Saint Dominique où aura lieu le concert,  achète un billet d’entrée et me place au premier rang. C’est mieux pour voir, c’est mieux pour entendre. Je suis une heure en avance ! Surprise, mes 2 voisins du camping, aussi randonneurs et auxquels j’avais parlé de ce concert, arrivent et s’installent à côté de moi, et nous attendons. La salle se remplit. Puis arrive l’heure. Les musiciens et les chanteurs s’installent, ils sont neuf.

Le concert commence. C’est bien sûr en corse et si je ne comprends pas, à part la présentation de chaque chanson en français, j’apprécie beaucoup les mélodies, les voix polyphoniques, les instruments. Je suis ému par certains chants même si je n’en comprends pas le sens.

Mes voisins semblent apprécier modérément et applaudissent pour la forme sans frapper dans leurs mains … Lors de morceaux plus entrainants pendant lesquels les chanteurs incitent les spectateurs à frapper en cadence dans leurs mains, mon voisin est complètement à contre temps. Et à la fin du spectacle tous les spectateurs se lèvent pour des rappels car on aimerait que cela ne finisse pas. Mes voisins ne bougent pas.

Et comme tout a une fin, le spectacle se termine par l’interprétation d’un dernier chant présenté comme étant l’hymne corse.

J’achète un CD en espérant y retrouver les chants entendus ce soir et l’émotion ressentie même si je sais que la présence physique des artistes ne peut être remplacée par le seul enregistrement numérique. Je perds de vue mes voisins qui ont du partir rejoindre le camping. Je regrette presque de leur avoir indiqué cette soirée mais après tout, je ne suis pas responsable si cela ne leur a pas plu.

Je redescends tranquillement vers le port en prenant mon temps car je sais que c’est la dernière fois. Je parcours ces belles ruelles désertes à cette heure-ci. Il est plus de 23 heures, et je n’ai pas sommeil. Je me couche et malgré tout ne tarde pas à m’endormir avec de la musique et des chants corses dans la tête.

Ce site est magnifique
Grotte marine !

Vendredi 19 juin 2015

Départ vers Bastia.

Je me lève à 5h45 et plie le camp en silence. Le camping est endormi même si les bruits de la ville se font entendre de plus en plus. J’ai de la marge et j’attends le bus à la micro gare routière en admirant le lever de soleil sur les remparts qui dominent le port et en déjeunant de pain des morts. Deux randonneurs se joignent à moi. Ils vont parcourir le GR20 du sud au nord. Ils sont arrivés à Figari hier et ont dormi à la belle étoile. Nous parlons bien sur de randonnée, ils sont avides de renseignements et ils descendent du bus à Sainte-Lucie. Ils auront 4 kilomètres de route pour parvenir à Conca.

J’arrive à Bastia vers 12 heures. Au syndicat d’initiative j’apprends qu’il y a bien un terrain de camping à proximité, à 2 kilomètres et que je peux y aller en bus, mais il faut revenir en ville demain pour avoir la correspondance vers l’aéroport. Le premier bus du matin est à 7 heures et je dois être à l’enregistrement à partir de 6 heures … Il ne reste de solution que le taxi qui sera bien trop cher. Pour l’hôtel, même raisonnement. J’irais donc en fin de journée à l’aéroport et y passerais la nuit qui sera sans aucun doute inconfortable. Pour le moment je suis à la gare de chemin de fer que je connais. J’y mange mon reste de fromage et de pain de mie étouffant ! Je vais y rester un moment pour lire au calme puis j’irais acheter quelque chose à manger ce soir avant de prendre le bus devant la préfecture c’est-à-dire aussi devant la gare ferroviaire. L’aventure se termine de façon … aventureuse … ce qui ne m’étonne pas, je m’y attendais.

J’ai du mal à trouver une librairie à Bastia. Je finis par en trouver une entre 2 bijouteries mais elle est fermée et ne semble pas très active par ailleurs. Renseignement pris il y en a une autre rue Napoléon. J’y vais. C’est une vraie et magnifique librairie. Un des 2 hommes que j’y trouve est un copain de Marc Biancarelli, auteur du livre dont je viens de terminer la lecture. Je choisis maintenant Jérôme Ferrari, un autre corse bien connu, on me conseille de lire « Dans le secret », je m’exécute. C’est bien de trouver un libraire qui peut donner des conseils. J’aimerais ce livre ou pas.

Je prends le bus de 17h15 pour l’aéroport. J’y suis vers 18 heures où je repère comment et où passer cette nuit prévue inconfortable. Au téléphone, mon épouse me conseille de trouver un hôtel à proximité mais je ne sais pas si cette ressource existe ici. Un avion de Corsica arrive avec un flot de passagers, un autre s’en va. C’est un va-et-vient incessant dans l’aérogare.

Il y a effectivement des hôtels proches … à quelques kilomètres ! Et pas bon marché. Je conforte ma décision de passer la nuit ici. Le panneau des arrivées et départs m’indique que le dernier mouvement est à 23 heures et le suivant à 6 heures. J’aurais donc du temps calme. J’attends 23h30 que les derniers passagers s’en aillent puis je m’allonge sur un banc métallique où je ne tarde pas à m’endormir malgré l’inconfort et la lumière. Jusqu’à ce qu’un instant plus tard je sois réveillé par un employé qui frappe sur le banc et m’invite à sortir car personne ne doit rester à l’intérieur pendant la nuit. Il m’indique des bancs de béton à l’extérieur. Super. Je m’y installe mais la fraicheur relative m’empêche vraiment de m’endormir à nouveau. Je mets ma veste de duvet ce qui facilite ma résistance mais le béton reste tout aussi dur. Je m’endors quand même un peu. Puis, j’ai faim. Je finis le pain des morts de Bonifacio et essaie de dormir à nouveau. En définitive je dors 3 heures en discontinu.

Samedi 20 juin 2015

Six heures arrivent.

Je fais enregistrer mon sac dont je dois extraire le petit sac de vêtements car j’ai un excédent de bagages du poids mirobolant de 600 grammes.

Retour sans problème avec des images de randonnée plein la tête.

Petit résumé des étapes en chiffre

 

          

Ordre

Dates

Départ

Arrivée

Durée

Dénivelé positif

Dénivelé négatif

Cumul positif

Cumul négatif

Cumul total

1

31/05/2015

Calenzana

Ortu di u Piobbu

8

1360

60

1360

60

1420

2

01/06/2015

Ortu di u Piobbu

Carrozzu

8,5

780

917

2140

977

3117

3

02/06/2015

Carrozzu

Asco Stagnu

8

790

638

2930

1615

4545

4

03/06/2015

Asco Stagnu

Tighjettu

9

1059

798

3989

2413

6402

5

04/06/2015

Tighjettu

Castello di Vergio

10

1263

1111

5252

3524

8776

6

05/06/2015

Castello di Vergio

Manganu

8

5252

3524

8776

7

06/06/2015

Manganu

Petra Piana

8,5

830

589

6082

4113

10195

8

07/06/2015

Petra Piana

L’Onda

5

490

902

6572

5015

11587

9

08/06/2015

L’Onda

Vizzavona

8

711

1221

7283

6236

13519

10

09/06/2015

Vizzavona

E Capannelle

6,5

890

224

8173

6460

14633

11

10/06/2015

E Capannelle

Prati

8

890

590

9063

7050

16113

12

11/06/2015

Prati

Usciolu

6,75

697

747

9760

7797

17557

13

12/06/2015

Usciolu

A Matalza

4,5

380

640

10140

8437

18577

14

13/06/2015

A Matalza

Asinau

4,5

650

545

10790

8982

19772

15

14/06/2015

Asinau

I Paliri

7,75

429

910

11219

9892

21111

16

15/06/2015

I Paliri

Conca

6

160

963

11379

10855

22234

    

117

11379

10855