Sur la H.R.P. en 2018
Ami lecteur, ce texte est long, comme le parcours ! Tu peux lire et vivre ! les étapes une par une ... même en désordre !
Mercredi 18 juillet 2018 – Jour 24
Espitau de Benasque – Refuge du Portillon
Départ à 7h30, arrivée à 18h30.
Au départ, juste après avoir quitté la route goudronnée, nous nous trompons de chemin. Le temps de nous en apercevoir, de chercher à rejoindre le bon sentier, de nous lancer dans une traversée de forêt très pentue et gardées par de nombreuses barres rocheuses, de faire demi-tour avec le GPS de Bernard, nous perdons deux heures !
Au départ, j’avais aperçu un début de sentier tellement précaire que je n’ai pas eu la présence d’esprit d’en parler à Bernard. « Funeste » erreur qui nous a coûté bien des calories perdues car c’était la bonne direction. Une fois retrouvé le « bon » chemin, nous avons du mal à le suivre dans sa partie aval car il est peu emprunté semble-t-il. Et un passage particulier vingt mètres au-dessus d’un torrent furieux est bien dangereux. Mais ensuite, le spectacle est au rendez-vous. Belle et haute vallée verdoyante habitée par une multitude de cours d’eau vive avec toujours l’abondance de névés inévitables. Ils nous barrent la route associés à de nombreux chaos de rochers de toutes dimensions. Après avoir franchi tous ces obstacles, nous nous approchons du col de la Litérole suivi du lac et du refuge du Portillon.
À chaque montée conduisant à une manière de col, nous avons l’impression d’atteindre le col, mais il n’en est rien ! Le col est loin, toujours plus loin !
Enfin, après avoir longé le lac de Litérole particulièrement gelé et bleu, nous atteignons la dernière rampe vers le col tant convoité de la Petite Litérole. Névé pentu à la montée accompagné d’un vent violent et glacé. Ascension lente pour moi, la journée a été longue ! Puis c’est une barrière de roche défendant le col suivie par un début de descente vers le lac du Portillon. D’abord dans des cailloutis fuyant sous les pieds et ensuite dans des névés très pentus au début. J’y fais deux tentatives involontaires de glissade plus ou moins contrôlées ! L’appareil photo s’en trouve mouillé. Je dois le sécher avec précaution en équilibre sur la pente afin d’espérer pouvoir capter encore quelques images aujourd’hui. Le lac du Portillon est encombré de nombreux icebergs dérivants au gré des vents changeants. Il ne ferait pas bon y prendre un bain. La dernière partie du sentier proche du lac est à fleur de montagne au bord du vide surplombant le lac. Prudence.
Bel accueil au refuge où il y a de la place. nous retenons deux couchettes.
C’est la dernière nuit en montagne pour Bernard.
Demain, il rentre travailler, et moi, je continue seul mon chemin. Il semble que les deux prochaines étapes soient sérieuses avec beaucoup de neige. Il me faudra prudence et courage, je compte bien sortir ces deux accessoires de mon sac qui en contient bien d’autres pour pouvoir continuer dans de bonnes conditions.
Demain sera un autre jour …
Jeudi 19 juillet 2018 – Jour 25
Refuge du Portillon – Refuge de La Soula
Départ à 7h30, arrivée à 16h30.
Le gardien du Portillon m’a annoncé cinq heures pour cette journée. Je sais bien que ce sera plus long pour moi … poids de la charge … âge … photos … Afin de ne pas changer mes habitudes, il me faut neuf heures pour atteindre le but !
Mais neuf heures de plaisir !
Je cherche un peu le sentier pour monter à la Tusse de Montarqué.
J’ai deux possibilités pour accéder au col des Gourgs Blancs. Soit rester à flanc de montagne à partir du refuge, mais pour avoir parcouru cet itinéraire d’autres fois, je sais qu’un passage peut être acrobatique, ce que je veux éviter. Soit passer par le sommet de la Tusse de Montarqué, ce qu’a conseillé le gardien, et qui est la meilleure solution.
Puis montée jusqu’au col des Gourgs Blancs. Comme d’habitude, beaucoup de neige pour cette saison. Deux binômes de randonneurs me précèdent et me font une trace confortable ce qui rend ma marche facile, même dans la dernière rampe bien raide. Le grand beau temps illumine les névés. La montagne devient accueillante sous cette lumière mettant en exergue les moindres reliefs dans les roches et la neige … Sauf lorsque le vent souffle, la chaleur du soleil est régénératrice. Une pause casse-croute au col permet de discuter avec un couple qui gravit le Pic Gourdon, et d’admirer ce paysage hors du commun.
Puis c’est la descente vers le nord-ouest. Le GPS me permet de bien m’orienter par rapport aux différents lacs … que je ne vois pas car gelés et couverts de neige. La marche sur les immenses névés se révèle douce avec les crampons, la neige amortit les chocs à chaque pas. C’est facile la montagne ! Enfin, presque.
Un peu plus bas des chaos de blocs séparent les névés. Leur franchissement en crampons crissant sur la pierre rythme la progression. Bientôt, le neige fondante sous le soleil impose la dépose des crampons. De nombreux cairns indiquent les passages avec sureté. L’approche du lac Caillouas rendue délicate par la présence de ponts de neige oblige des détours car ces édifices de neige fragile m’inspire la prudence. Le sentier s’appuie à flanc contre les parois des gorges vertigineuses précédant le lac. Beaucoup de vide très proche du chemin sur un parcours caillouteux et déjeté vers le ravin. Là encore la prudence est de mise dans ce paysage aussi admirable qu’impressionnant.
Passé le barrage du lac, longue est la descente rythmée par de nombreux lacets.
De loin, le refuge parait gigantesque parce qu’il jouxte un grand bâtiment de collecte hydraulique. Le refuge semble neuf vu de l’extérieur mais intérieurement, sa réelle ancienneté ne manque pas de charme. Le gardien, extrêmement avenant me reçoit comme un roi. Je prends une demie pension alors que j’envisageais de dormir sous la tente …
Il faudra que je bivouaque plusieurs jours de suite pour rééquilibrer mon budget. Je ferais ça en Espagne les jours prochains.
La douche chaude est encore et toujours un immense plaisir en montagne. J’en ressors comme neuf. Je lave mon linge, J’écris dans le réfectoire. il y a du monde mais le refuge n’est pas complet. Le gardien m’a placé dans une chambre pour quatre où je suis seul. Ça sent la cuisine … et j’ai de plus en plus faim !
Avant de me quitter, ce matin au Portillon, Bernard m’a prodigué des conseils de prudence pour la suite. Nous avons bien sympathisé pendant ces longues ou moins longues étapes. Il va me manquer. La route continue …
Repas du soir.
Très chaleureuse ambiance parmi les randonneurs.
Surprise : le repas est animé par des chanteurs, trois hommes et une femme. Chansons traditionnelles en français et en occitan. En polyphonie. Magnifique. À cette ambiance, le gardien ajoute sa bonne humeur, sa grande attention généreuse et son bagout naturel qui engendrent pour cette soirée une vie qu’on aimerait bien trouver tous les soirs.
J’aurais bien aimé partager cette soirée avec quelqu’un de proche, seul, cela est un peu triste.
Vendredi 20 juillet 2018 – Jour 26
Refuge de La Soula – Refuge de Viados
Départ à 7h50 … pas rapide Bob ce matin, arrivée à 16h30.
Très belle vallée montante jusqu’au col Aiguas Tortas.
Quelques névés encore, mais on peut les éviter … ce que, bien sur, je ne fais pas à cause d’une petite erreur de parcours … encore une … ce qui m’oblige à chausser les crampons pour en franchir deux. Je contourne les derniers en passant par les rimayes. Mais cela nécessite un peu d’escalade et même un peu de spéléo … pour en sortir !
Ensuite, je retrouve le sentier dégagé avec cairns pour atteindre le col. La descente côté espagnol n’est pas aisée parce que le chemin est à peine marqué et les cairns y sont rares. Dans une gorge étroite, le passage sur des dalles de schiste rouge verticales est acrobatique et chronophage afin de ne pas prendre de risques. Puis, longue descente vers le refuge.
… d’autant plus longue que je parcours les quatre derniers kilomètres sous la pluie et l’orage. Allongeant le pas jusqu’à presque courir pour arriver le plus tôt possible et monter la tente. Sauf que les tentes sont interdites sous prétexte que tous les terrains sont privés. Un terrain de camping existe … à un kilomètre plus loin. Sous la pluie qui redouble d’intensité, non merci. Et le refuge est complet ! Une cabane proche est disponible avec six couchettes. J’en accepte une pour huit euros, nous y serons quatre pour la nuit : un allemand, une hollandaise et deux français.
Chacun se renseigne quant à sa journée de demain et glane ici ou là quelques informations quant aux difficultés de l’étape. Ici se croisent HRP et GR11. Je suis seul à parcourir la HRP. Demain, je prendrai la direction de Parzan où on peut s’approvisionner mais les zones de bivouac y sont rares parait-il. Je compte y faire quelques achats et trouver un peu plus loin un endroit propice pour y installer ma tente. Afin aussi de raccourcir l’étape suivante et aller jusqu’au Cirque de Pineta qui est très beau parait-il. Tout ça en espérant avoir un peu de soleil …
Donc, je dors dans la cabane. Dans la nuit, j’entends les espagnols chanter dans le reuge. C’est très agréable. J’hésite à me lever pour les rejoindre mais la perspective de la longue journée qui m’attend demain me scotche au fond de mon duvet !
Samedi 21 juillet 2018 – Jour 27
Refuge de Viados – Bivouac à Chisagüés.
Départ de Viados à 7h15, arrivée à Parzan à 13h30.
Puis départ de Parzan à 16h10 pour arriver à Chisagüés à 17h30.
De Viados à Parzan, il y a 21.7 kilomètres pour 950 mètres positifs et 1535 mètres de descente.
Le temps annoncé est de 7h40, j’y arrive en 6h15. Explications ci-dessous.
À Viados, réveil à 6 heures. Rangement, petit déjeuner. Chacun a son conteneur plastique avec sa ration. Suffisant sauf la tasse de boisson chaude lait-chocolat tiède et peu abondante. Mais je n’ai pas le temps d’en redemander. L’étape du jour, conséquente, me pousse à partir de suite. Nous sommes samedi, ici en Espagne, je suppose que les magasins ferment plus tard qu’en France. Mais je ne peux pas courir le risque de les trouver fermés. Et puis la météo annonce des orages pour l’après-midi.
Aussi je mets le turbo ! Le temps annoncé semble raisonnable pour un marcheur normalement chargé, ce que je ne suis pas ! En conséquence, je force l’allure tout du long et suis étonné d’y arriver à temps. J’avais peur que le cumul de fatigue joue contre moi, il n’en est rien, au contraire, je dose constamment l’effort mais le maintient sans cesse. J’arrive à destination après 6h15 de marche. La très longue descente de dix kilomètres sur piste à partir du col de los Caballos est très pénible et monotone … et se termine sous la pluie annoncée malgré mon avance. Je sens quelques échauffements dans ma chaussure gauche. Les deux derniers kilomètres sont humides et sur le goudron. J’ai posé la protection sur le sac et l’imperméables sur le bonhomme. J’arrive transpirant mais pas trop mouillé. J’ai opté pour cette dernière option car le sentier passe dans des herbes hautes détrempées. Je repère deux tentes posées sur une terrasse au-dessus de la route mais je ne les rejoindrai pas car elles sont trop éloignées de ma route pour demain.
Dans la « venta », tout me fait envie. Mais mon sac n’est pas extensible à l’infini et mon dos est à charge limitée ! Tout de même, il faut ce qu’il faut. Je prends pain, fromage, jambon sec, pâtes chinoises, pommes, potages rapides et pour la consommation immédiate deux nectarines, trois petites bananes mures et une bière fraiche … je vais bien vite en chercher une deuxième !
On trouve des alcools comme du Porto, de la sangria en vrac et on peut gouter avant d’acheter. Je goute dans un tout petit verre, c’est bon. L’effet est immédiat. Je suis à jeun et mon estomac avide de boisson et de nourriture transfère de suite dans le sang … l’euphorie est instantanée ! Les bières pendant mon repas qui suit l’entretienne et c’est bien ! Attention, avec modération bien sur. Je parle de l’alcool bien sur, pas de l’euphorie.
La pluie s’est bien vite arrêtée. Je reste plus de deux heures assis contre la vitrine du magasin à l’abri pour manger et échanger des Texto afin de rester en contact avec la famille et les amis.
Puis, avec un sac encore plus lourd, je reprends la route dans le but immédiat de trouver une aire de bivouac acceptable. Je dois maintenant éviter les séjours refuges en regard avec mon budget limité.
Comme il est bien de me rapprocher de Pineta pour raccourcir l’étape de demain, je suis le GR11 vers Chisagüés, petit village traditionnel accroché à flanc de montagne dont des lauzes de grés rouge recouvrent les toits. Et je trouve une petite prairie sympathique en contrebas de la route avec un torrent à proximité. Parfait. Juste un bataillon de moucherons s’intéresse un peu à moi et m’agace un moment.
Petit soucis. Des ampoules, présentes depuis plusieurs jours, à mon pied droit sont réduites. Les pansements ont été efficaces. Mais le gros orteil de mon pied gauche est douloureux. Il est enflé avec son ongle noir et rouge à la base. Je crains de le perdre ce qui n’est pas très grave. Mais me gêne parce que douloureux et je ne sais que faire pour traiter ce petit problème À surveiller. Je me contente de raccourcir tous les ongles modérément.
Pour demain, j’avais prévu d’aller dormir dans le cirque de Pineta, beau décor parait-il, mais afin de préparer au mieux le lendemain avec l’ascension du Mont Perdu, je projette maintenant d’aller dormir au refuge non gardé de Tuquerouye placé dans la brèche éponyme qui donne accès au cirque d’Estaubé. Cela m’évitera de monter la tente d’où un gain de temps. Seulement il faudra aller jusque là-haut, c’est-à-dire à 2700 mètres environ …
Je bivouaque à 1600 mètres environ ce qui annonce une autre belle journée bien chargée. À gérer avec rythme régulier en espérant un beau temps salutaire. Car là-haut le mauvais temps serait difficile à gérer.
Dimanche 22 juillet 2018 – Jour 28
Bivouac à Chisagüés – Refuge de Tuquerouye
Départ de Chisagüés à 7h, arrivée à Tuquerouye à 20h40.
Dure étape, dure, dure. Mais belle, belle !
Longue piste montante jusqu’au Pla de Petramula. Ensuite longue montée de deux cents mètres jusqu’au lac de la Munia. Ça, c’était en prime, non prévu au programme ! Cela évite la piste inintéressante jusqu’au refuge Larri. Mais dans le cirque de la Munia, il fait très froid. Tout est gelé là-haut. Le lac et les névés encombrent tout. C’est mieux dans la descente vers le refuge de La Larri. Trop facile, je me déconcentre, trébuche. Et me retrouve sur le ventre, dans la poussière. La tête contre un rocher avec une marque sur le front, les lunettes un peu tordues. Eh, Bob, réveille toi !
Plus loin, la pente est délicate, difficile et dangereuse. Il me faut près de trois heures pour parcourir quelques centaines de mètres de dénivelé. Ensuite une grande prairie occupe l’immense cirque bordé par une série de sommets frisant les trois mille mètres.
Le cirque de Pineta, grandiose avec sa très grande cascade au milieu, cache bien sa hauteur que je découvre en empruntant le sentier interminable sur près de 1200 mètres de dénivelé en un seul tenant. ( * )
L’arrivée sur le plateau au balcon de Pineta, dans un calcaire gris se fait par un sentier serpentant entre des blocs ruiniformes. Là aussi, beaucoup de névés. Le lac Glacé du Marboré est bien gelé comme l’indique son nom. L’accès au refuge est délicat. Je le tente d’abord par l’ouest, mais j’estime ce passage difficile et y accède finalement par l’est.
Il est tard, la nuit presque établie. Sept personnes déjà installées dans le noir occupent les couchettes du dortoir. Discrètement, je déplace les bancs du réfectoire et dispose mon couchage au sol.
Et je mange. Chaud. C’est un régal quand on a froid et faim !
Belle nuit. Je sors un moment et fait une photo du ciel étoilé avec la silhouette du Cylindre en toile de fond.
( * ) Sur une photo quasiment aérienne prise plus tard d’un sommet voisin dominant le cirque de Pineta, je peux compter plus de 180 lacets dans cette montée !
Lundi 23 juillet 2018 – Jour 29
Refuge de Tuquerouye – Bivouac sous le Mont Perdu
Départ du refuge à 7h30, arrivée au bivouac à 18h.
Comme hier soir, je passe par l’est du refuge pour contourner le lac. Le passage de l’ouest ne m’inspire toujours pas alors que je suis persuadé qu’il est possible, la carte le montre bien. Les blocs de glace et de névé en surplomb au-dessus du lac sur ce passage ne parviennent pas à me séduire … Je fais donc un grand détour dans ce cirque autour du lac gelé et des moraines. Presque tout est recouvert de neige. Les traces de mes prédécesseurs ont partiellement disparues par l’action de fonte due au soleil. Mais le passage unique de la « cheminée » pour franchir la barre rocheuse est évident. C’est de la grimpe aidée par une corde placée en fixe, une bonne aide surtout avec un gros sac bien lourd. Depuis le départ, les crampons aident bien dans la neige, mais ici sur la roche, les enlever est mieux. Les rechausser après le passage de ce mur jusqu’au col du Cylindre. Celui-ci majestueux domine de toute sa hauteur le paysage calcaire tout à fait minéral. Suivre la vire descendante revenant vers le pied du Cylindre puis descendre jusqu’au lac, lui aussi gelé, du Mont Perdu.
La vue vers le Mont Perdu le montre presque entièrement enneigé. Je l’ai déjà escaladé, mais sans un gramme de neige. Aujourd’hui, les conditions sont bien différentes. Après une courte hésitation, je démonte mon sac afin de n’en garder que la partie haute amovible avec eau, casse-croute et veste coupe-vent, laisse la partie basse sur place et entame l’ascension. Ainsi peu chargé, je me sens léger comme un oiseau … enfin presque. quel changement !
La dernière partie de la rampe est très raide mais de saines traces permettent facilement la progression mieux que sur les cailloutis instables sous-jacents.
Comme j’arrive tard au sommet, il y a peu de monde. Que des français, les espagnols sont déjà redescendus, j’en ai croisé une myriade. Et comme je m’attarde pour des photos, je me retrouve rapidement seul alors qu’en général le sommet est souvent très encombré. Le temps est au grand beau fixe, le spectacle rigoureusement magnifique de tous côtés. D’ici je vois bien le théâtre de mon parcours de la veille et comprends bien ma fatigue du soir !
Descente prudente. Je récupère mon sac. et prends de l’eau du lac gelé que je traite par prudence avec un comprimé. Seul à descendre vers le sud, je cherche un lieu de bivouac tranquille et discret, loin des sentiers parce que je ne suis pas certain d’être autorisé à bivouaquer ici dans le parc national. Finalement je trouve une aire accueillante proche du sentier de Goriz. À proximité d’un cairn, c’est-à-dire sur un sentier balisé. Pas très discret mon emplacement. Mais ce cairn m’intéresse car il signale le départ du parcours vers la brèche en passant par les sommets Tour et Casque …
J’ai appris que le refuge des Sarradets est fermé, encore en travaux. Je modifierai mon programme demain en fonction des circonstances et de ma forme pour me rapprocher du Vignemale. À suivre.
Mardi 24 juillet 2018 – Jour 30
Bivouac sous le Mont Perdu – Bivouac au-dessus de la station de Gavarnie
Départ à 7h30, arrivée à 19h30.
Départ serein, sans stress à 7h30 après avoir observé le lever du soleil qui illumine un à un les sommets environnants, colore les horizons de teintes pastels changeant à chaque instant. Il fait beau mais les sommets du Mont Perdu et du Cylindre sont dans des nuages évoluant sans cesse. On a l’impression qu’ils vont disparaître à chaque instant, mais il n’en est rien. Instables, les nuées se déplacent et sont remplacées en permanence.
Par contre, ailleurs c’est ciel bleu.
Je range mon bivouac, avale un rapide et frugal petit déjeuner, et démarre en direction de la Faja Roya.
Pour rejoindre la brèche de Roland, il y a plusieurs possibilités. Toutes sont parallèles parce qu’elles empruntent de larges banquettes perchées sur un ensemble de dalles calcaires disloquées de couleurs différentes séparées par des falaises abruptes autorisant peu de passage de l’une à l’autre. Le chemin que je choisis est le plus haut parce qu’il permet d’atteindre les crêtes du Cirque de Gavarnie. Je connais un peu cette partie pour l’avoir parcourue plusieurs fois dans le cadre de la spéléologie et aussi pour des randonnées solitaires dans ce cadre que j’affectionne tout particulièrement.
Peut-être parce qu’il est calcaire et que ce genre de relief me plait beaucoup. Cependant, cette année il y a tellement de neige que c’est une autre montagne que je découvre. C’est attirant et perturbant à la fois. Je parviens toutefois à ne pas trop m’égarer. J’atteins les crêtes que je suis jusqu’au sommet de la Tour. De ce belvédère on domine tout le cirque dont la base se développe 1200 mètres plus bas. C’est particulièrement impressionnant. J’envoie l’image de ce panorama aux amis restés au travail car il y a ici du réseau téléphonique. J’arrête ma progression aérienne après la Tour. Et là, il s’agit de redescendre vers la brèche. Les névés envahissant tout, cela change terriblement le décor. Tellement que j’ai du mal à reconnaitre les paysages. Quelques cairns m’aident bien. À un moment il faut descendre un névé dont la pente est particulièrement forte. Un véritable mur glissant. Je dois utiliser crampons et piolet pour me sécuriser. Sans eux: impossible. Et même bien équipé de la sorte, je dois être extrêmement prudent afin de ne pas dévisser. Ce qui aurait de très fâcheuses conséquences ici. À la suite de ce « mur », il y a de longs névés encore, mais beaucoup plus praticables. Du haut j’ai repéré le Cuello de los Sarrios (col des Isards). Comme on le voit de loin, il est aisé de se diriger vers ce but. Il s’agit bien du passage vers la Brèche. Tout est recouvert de neige, le ciel s’obscurcit fortement vers le sud, et on aperçoit des éclairs lointains. Puis des coups de tonnerre. Quelques gouttes de pluie viennent agrémenter le spectacle et s’arrêtent bien vite. Pour accéder à la Brèche il faut longer la paroi. Aujourd’hui sur de la neige. Seul le passage de la vire des Isards est dégagé et sécurisé par la présence d’une chaine bien placée. Pendant la montée qui suit, la pluie revient en force. Comme les abris sont rares ici et le refuge des Sarradets fermé, je pense à cette petite grotte artificielle creusée côté français à gauche de la brèche et vais m’y abriter. Quatre jeunes espagnols y sont déjà en pause. Après cette averse je peux repartir. Au passage du refuge, les ouvriers m’informent que le refuge devrait être ouvert en novembre … ( * )
Poursuivant le perte d’altitude, j’installe mon bivouac dans les alpages de la station de ski de Gavarnie où le réseau téléphonique me permet de communiquer avec famille et amis.
( * ) Il faudra attendre beaucoup plus longtemps que ça.
Mercredi 25 juillet 2018 – Jour 31
Bivouac au-dessus de la station de Gavarnie – Refuge de Bayssellance
Départ à 8h10, arrivée à 12h10 au lac d’Ossoue, puis à 15h05 au refuge de Bayssellance.
Dans l’alpage de la station de Gavarnie, il fait humide, très ! La tente et même plus sont mouillés, mais le grand beau temps bleu m’attends. Mon réveil sonne à 6h30 … et je ne démarre qu’à 8h passées. Tu te ramollis Bob. Je suis un peu diesel, engourdi par la fraîcheur et l’humidité du lieu. Lorsque je démarre, le soleil est déjà bien présent, il n’a pas le temps de sécher la tente que je range mouillée mais je profite de ses premiers rayons avec plaisir. J’ai repéré la direction à prendre dans l’alpage pour rejoindre le GR10 qui mène au refuge.
Le GPS m’aide bien .Cette fois le fond de carte est bien enregistré dans mon cellulaire. C’est vraiment pratique et efficace. J’enregistre ma trace comme d’habitude et elle colle bien au tracé du GR. C’est remarquable la technique quand ça marche. Le sentier agréable et facile à flanc de montagne remonte la vallée d’Ossoue. Je passe 1860 mètres d’altitude environ et m’arrête au lac d’Ossoue que je quitte après une petite restauration à 12h. Puis j’attaque la véritable montée de 1834 mètres à 2651 mètres.
Arrivée au refuge à 15h. Soit 270 mètres à l’heure ce qui me satisfait pleinement considérant que je suis retenu en permanence des deux sangles par mon sac « léger ». Le sentier confortable à la pente régulière aide beaucoup.
Le parcours est une véritable voie de montagne comme on les imagine en rêve. Plus on monte, plus on se sent véritablement en haute montagne. Depuis plusieurs étapes, cette randonnée a oublié d’être ordinaire. Est-ce ce décor, est-ce la grande forme qui me prend … ou les deux, mais cette marche est assez grisante surtout que je n’ai aucune peine à accéder à ces décors et à ces altitudes. Je suis à 31 jours de marche, il était temps que mon corps s’habitue et me permette d’avancer avec aisance. Il me reste quatorze jours. J’ai hâte … mais pas vraiment d’arriver au but tant j’aimerais que cela n’ait pas de fin. Paradoxal, non ? En fait non, je pense que c’est normal. Cette randonnée est éprouvante physiquement aussi son arrêt me tente pour retrouver un confort ordinaire mais ne plus parcourir ces décors fantastiques va me manquer. Il faudra que je me contente de cette somme de fabuleux souvenirs, même si certains furent douloureux, voire stressants. J’ai l’impression de vivre une aventure hors du commun, alors que je ne suis qu’une personne ordinaire qui a fait un choix un peu marginal. Un autre paradoxe est que j’étais persuadé de pouvoir aller jusqu’au bout de cette randonnée, mais que je ne pouvais me contenter de cette certitude théorique, j’avais besoin de la vérifier sur le terrain et en moi-même.
Je ne suis pas au bout de l’aventure, sauf incident rédhibitoire, j’irai jusqu’au but. Je constate sans vraie surprise que je suis capable de surmonter les gros efforts nécessaires et même au-delà. Nous avons tous des ressources insoupçonnées en nous, ça je le savais, mais le constater « en vrai » sur le terrain et sur une longue période est particulièrement satisfaisant et encourageant. Reste une question intéressante : comment persuader des personnes qu’elles sont également capables de se dépasser ? D’aller loin de ce qu’elles se croient capables, bien plus loin car nos ressources sont totalement sous évalués ! Je n’ai pas de réponse absolue à cette question sinon par l’exemple. Sans aucune prétention d’ailleurs. Malgré mon âge – 66 ans – j’espère avoir encore de nombreuses opportunités de défendre ce point de vue, cette opinion de vie.
Nous pouvons toujours faire plus et mieux. Intérieurement je l’ai toujours su mais il m’a fallu plus de 60 ans pour oser l’affirmer. ! « Pour faire un homme, Dieu que c’est long, pour faire un homme, Dieu que c’est long » dit la chanson de Hugues Aufray. Ce n’est que vrai.
L’attrait du Vignemale se paie cash dans le refuge. Il y a beaucoup de monde de nombreuses nationalités, il est complet. Heureusement que j’ai ma tente, et je comptais bien la monter. Sauf que je ne peux la monter qu’à partir de19 heures car nous sommes dans le Parc National où le camping est interdit. Je patiente donc devant une part de gâteau et une bière. Il faudrait plusieurs parts de gâteau et plusieurs bières pour patienter aussi longtemps !
Je fais l’effort de me limiter aussi bien du point de vue de l’alcool que de celui financier.
Quand je suis arrivé, il y avait du monde. Maintenant, il y a beaucoup de monde ! C’est l’invasion. J’irais bien m’allonger dans mon sac de couchage mais je ne peux pas encore monter la tente, trop tôt, il n’est que 17 heures.
Dans le refuge, un basque a entendu mon nom (basque) et m’interpelle. Il veut savoir où je suis né, mais je ne suis pas un « vrai » basque aussi je ne l’intéresse pas ! C’est normal sans doute, mais un peu vexant.
De nombreux groupes envahissent les lieux, des randonneurs transpirants arrivent lorsque le niveau des nuages varie sans cesse. Par la fenêtre, on voit le paysage, on ne le voit plus, alternativement, etc. En arrivant, j’ai vu au loin, Gavarnie, le Brèche, le Talion, bref les endroits où j’étais encore hier. Paysage grandiose. Dommage que l’air ne soit pas plus limpide, c’est l’après-midi, la météo prévoit demain, une matinée favorable jusqu’à onze heures. J’espère avoir une meilleure vue.
J’ai demandé le petit déjeuner à 5h30 pour démarrer aussitôt que possible c’est-à-dire dès qu’il fera assez clair pour marcher. Mais il faudra que j’ai plié la tente car sa présence est interdite après neuf heures. Cette règle compréhensible dans l’ensemble du parc me parait étrange aux abords des refuges pour une seule nuit. Mais la loi est la loi comme disait Brassens.
Dans la salle, un brouhaha m’isole complètement dans ma bulle car je ne peux comprendre quoi que ce soit de ce qui se dit autour de moi, trop de bruit. Audition défaillante. C’est étrange, j’ai fini par m’habituer à cette situation pérenne pour moi mais un peu frustrante.
Je comptais faire une toilette minimum en arrivant mais il n’y a pas de douche, même froide, juste un grand lavabo le long d’un mur. Ce qui me rassure un peu, c’est que dans la salle des sacs à dos règne une odeur de transpiration qui ne vient pas que de mes affaires ! J’espérais aussi naïvement que les randonneurs de la HRP pouvaient avoir de meilleures conditions que ceux qui ne font que passer pour aller sur le Vignemale. Erreur ! Pas de passe-droit ou de faveur. Je suis d’ailleurs très étonné par le manque de douche ici. L’explication vient d’un manque d’eau qui, de mon point de vue, ne va pas s’arranger dans l’avenir.
J’ai sommeil, j’ai faim. Finalement il m’arrive de penser que marcher douze heures ou plus a du bon, plutôt qu’arriver trop tôt et attendre oisif l’heure du repas ou celle de pouvoir monter la tente !
Demain, l’ascension du Vignemale présentée ici comme une randonnée de cinq à six heures assez anodine, risque pour moi d’être plus ardue que cela. Je verrai bien. En tous cas, une chose est certaine, c’est que cette fois je ne serai pas seul au sommet. Toutes les personnes présentes ici y sont pour le même motif. Ça me changera.
Jeudi 26 juillet 2018 – Jour 32
Refuge de Bayssellance
Départ à 6h30, retour à 13h20.
Lever à 5h pour le petit déjeuner à 5h30.
Je dois démonter la tente puisqu’elle n’est autorisée que jusqu’à 9h.
Départ pour le Vignemale à 6h30. Il fait frais, je m’habille léger. Tshirt plus coupe vent, car la marche devrait rapidement me réchauffer. Un quart d’heure de descente pour rejoindre le début du sentier qui mène au glacier. sur deux cents mètres ensuite il ne s’agit pas de suivre un sentier mais de s’accrocher au flanc de la montagne en marchant sur des pierres irrégulières dépassant au-dessus du vide … puis c’est l’arrivée sur les névés. L’utilisation des crampons n’est pas indispensable mais c’est tout de même bien pratique de ne pas trop déraper car par endroits la pente est importante. Longue montée sur le glacier tandis qu’apparait le soleil levant. La lumière est plus blanche, de la neige émane tant de lumière que les lunettes de soleil sont bien utiles. Des traces de la veille aisées à suivre facilitent mon parcours.car au début je suis seul, bientôt rattrapé par beaucoup de marcheurs qui avancent plus vite que moi. La lumière rasante rehaussant les reliefs m’incite à faire un grand nombre de photos dont j’espère qu’elles seront belles. Reflets très intéressants sur les formes de la neige façonnée par le vent, mise en exergue d’une mer de toutes sortes de vagues figées. Plus haut des lignes de plus forte pente convergent comme si elles coulaient au ralenti vers le bas du glacier. C’est en effet un écoulement lent dont il s’agit suivant des lignes soulignées par des impuretés colorées dont le graphisme esthétique retient mon intérêt.
Arrivé à l’extrémité amont du glacier, on aperçoit les grottes de Russell inaccessibles sauf à escalader car depuis l’époque du franco-irlandais, le niveau du glacier a singulièrement baissé. Les derniers cents mètres de dénivelé dans la roche se franchissent en ascension-escalade sur des marches assez faciles en y posant les mains. Faux pas prohibés tout de même. L’attention doit se porter au soin de ne pas décrocher des pierres instables qui ne demandent qu’à chuter sur le flot ininterrompu d’escaladeurs sur le même chemin. Au-dessus de moi un couple avec trois jeunes enfants accomplissent une remarquable ascension. Le père a encordé le plus jeune. Il a déjà emmené sa famille en divers endroits alentour et les montre à tous tout autour de ce super poste d’observation.
De ce point de vue saisissant on voit vraiment loin : Mont Perdu, cirque de Gavarnie, Talion, Pic du Midi de Bigorre, Pic du Midi d’Ossau, Balaïtous, Néouvielle et bien d’autres que je ne reconnais pas. Nous finissons par être nombreux sur ce sommet très connu et finalement facile d’accès … et d’autres encore arrivent en file indienne sur le glacier.
Photos au sommet bien sur ! Petit casse croute et descente avec précaution sur le rocher, puis facile sur la neige.
Retour au refuge à 13h20.
Il n’y a pas de douche, je l’ai dit. Seulement une cabine unique avec un lavabo individuel ou un long lavabo avec quatre robinets dispensant l’eau de fonte proche. Je m’y fais un shampoing. La température de l’eau me donne l’impression d’avoir la tête prise entre les mors d’un étau …
J’ai demandé la recharge d’une batterie pour l’appareil photo. Hier soir, c’était impossible. Aujourd’hui je ne peux brancher mon chargeur qu’un court instant, je me contente de cela en espérant ne pas me trouver bientôt en panne.
Vendredi 27 juillet 2018 – Jour 33
Refuge de Bayssellance – Refuge Wallon
Départ à 8h, arrivée à 15h40.
Petit déjeuner plus que copieux. J’ai une grosse faim au moment des repas en refuge !
Je prends ma poche « pic-nic » commandée et j’y ajoute quatre tranches de pain plus du pain d’épices et du sucre … en prévision des jours de disette !
Départ laborieux, je quitte le refuge à huit heures. La montée au col tout proche ne pose pas de problème. Sur la gauche, le Vignemale tout doré par le soleil matinal et rapidement il prend ses couleurs de plein soleil. C’est un beau moment. C’est un beau sommet.
Lors de la descente vers les Oulettes de Gaube on peut même l’admirer sur toute sa hauteur, c’est une muraille impressionnante, le couloir de Gaube l’est encore plus. Monter selon cette cheminée doit être un pari osé.
Le fond de la vallée large et plat est envahi par l’eau qui arrive en force de toutes parts. Des zones de bivouac sont cerclées de pierre comme souvent mais beaucoup trop inondées ! Arrivé au refuge, j’envisage de m’arrêter pour toilette, lessive, petite promenade jusqu’au lac de Gaube … mais réflexion faite, l’étape de demain qui serait donc des Oulettes jusqu’au refuge Ledormeur pourrait bien devenir mission impossible. Aussi, après avoir appris du gardien qu’il faut quatre à cinq heures pour atteindre le Wallon, je pars dans cette direction.
Et plus j’avance, plus je me félicite de cette décision car aller au Ledormeur en une seule journée eut été hors de ma portée sauf à marcher quatorze à quinze heures …
À partir du col d’Arratille, le décor change, on est dans du granit clair le plus souvent sous formes arrondies. J’aime tout spécialement les grandes dalles lisses et doucement polies. Quand je dis « doucement », je devrais sans doute dire « lentement » car ici la douceur géologique ne peut qu’être une vue de l’esprit. Mais il y a aussi des chaos qui ralentissent la marche … surtout à cause de mon ampoule au deuxième orteil du pied droit. Douleur à chaque pas. C’est handicapant car je ne pose pas correctement ce pied à cause de la douleur. À petite vitesse, je parviens tout de même à cet imposant refuge. Posé sur un promontoire dominant un puissant ruisseau et environné de grasses prairies, il est particulièrement séduisant. Comme la route arrive tout proche au Pont d’Espagne, on y trouve toutes sortes de randonneurs, même des familles joyeuses avec de jeunes enfants. C’est vivant.
Je prends le repas du soir et réserve le petit déjeuner. J’ai monté la tente près de la chapelle Marcadau toute proche. Quelques difficultés pour cela à cause de rafales de vent qui m’obligent à tout ancrer sous peine de voir s’envoler tout ce qui est léger.
Je réalise une réparation de fortune sur mon pantalon de marche car il devenait indécent de l’arrière !
Reprise non digne d’un professionnel mais personne ne m’en tiendra rigueur … je suppose.
Toujours pas de réseau téléphonique, je ne peux donner de nouvelles ni en recevoir. Entre autres pas de contact avec Fabrice.
Repas copieux … comme d’habitude. Finirai-je par prendre des kilos à ce régime ?
Le refuge Ledormeur, cible de demain, n’est pas gardé. J’utiliserai mes réserves.
Samedi 28 juillet 2018 – Jour 34
Refuge Wallon – Refuge Larribet
Départ à 8h, arrivée à 18h30
Démarrage difficile, ce matin c’est diesel.
Copieux petit déjeuner comme toujours, il n’y a pas de pain, je me jette sur les biscottes.
Rangement de la tente. Départ. Je commence par ne pas suivre le bon sentier. Sur le GPS, il y en a deux, un de chaque côté du gave. Je prends le « mauvais » qui me conduit dans une zone où il se perd. Rejoindre l’autre côté du gave me fait perdre du temps et surtout j’ai terriblement mal au pied droit. Mon deuxième orteil avait une ampoule qui semblait guérie … mais il n’en est rien. J’ai remis hier un nouveau pansement mais cet orteil me fait souffrir surtout lors des descentes ou des chocs contre la roche. Cela ralentit considérablement ma marche et tend à me déséquilibrer lorsque je ressens une douleur aigüe. Bref, je souffre et je rame ! Quand je compare mes deux pieds, je me rends compte que je vais finalement assez bien sauf pour ce petit détail très gênant. J’espère que le pansement aura rapidement un effet bénéfique.
Au pied du col de Cambalès je croise un jeune randonneur grand connaisseur de la HRP et des Pyrénées en général. Il écrit un guide en anglais pour la HRP. Nous parlons une demie heure des conditions exceptionnelles de neige de cette année.
Le passage du col n’est pas aisé, la fin plutôt dans la varappe. Et la descente de l’autre côté jusqu’au port de la Peyre Saint Martin est une rude épreuve pour moi à cause de cette vive douleur au pied et donc descente ralentie bien sur. Casse croute rapide au col puis descente vers le refuge Ledormeur. La pente est plus raisonnable et le sentier meilleur. Mon pied s’en trouve mieux et moi aussi. Néanmoins je dois être vigilant quant à ma façon de poser le pied à chaque pas.
Il est quatorze heures à la bifurcation qui conduit au refuge Ledormeur. Je décide de continuer pour bivouaquer plus loin, ou pourquoi pas, aller jusqu’au refuge Larribet. Ceci afin de transformer les quatre étapes Bayssellance – Pombie en trois étapes. Cette journée gagnée devrait me permettre de faire l’ascension de l’Ossau si c’est possible pour moi et si le temps le permet …
Et comme j’ai « découvert » hier que le nombre d’étapes pour atteindre Hendaye sur mon programme n’est pas 45 mais 47 en réalité, il me reste encore 11 étapes à parcourir. Quand tu seras grand, Bob, il te faudra apprendre à compter !
Bon, voir en détail les dernières étapes qui semblent plus faciles. Se méfier des apparences.
Le côté financier s’en trouve donc perturbé, mais pas catastrophique.
Des lacs de Remoulis jusqu’au Larribet on traverse une zone particulièrement belle mais je ne peux l’admirer pleinement à cause de nuages au niveau variable.
Dans les Balaïtous, l’association ruisseaux, lacs, cascades, roches de granit et végétation forme un ensemble véritablement harmonieux dans lequel la progression n’est pas trop difficile … à condition de posséder deux pieds valides.
Le refuge m’apparait tout d’abord comme un fantôme dans le brouillard. À mon arrivée, 18h30, il est complet y compris pour le repas. Je n’avais pas prévu de le prendre puisque je devais être au Ledormeur. Mais « l’assiette du coin » me tentais, tant pis. Le repas des soixante-dix ( ! ) personnes présentes monopolise toutes les énergies. Laetitia, la gardienne, me propose tout de même un bol de soupe avec une épaisse tranche de pain … comment refuser ! C’est bon, chaud, pris sur la terrasse ventilée, un vrai plaisir. Je complète avec du fromage acheté à Parzan dont il me reste un morceau et quelques fruits secs.
Dimanche 29 juillet 2018 – Jour 35
Refuge Larribet – Pont d’Arrious (Vallée sous les cols du Pourtalet et de Peyrelue)
Départ à 7h15, arrivée à 17h.
Encore mal au pied droit …
Lourd handicap qui me retarde bien car je pose mal ce pied douloureux. Je boite et trébuche parfois. Dans les montées, pas de problème ou peu. Par contre en descentes, je suis lent. Même dans les descentes faciles.
Bonne montée jusqu’au Port de Lavedan. Mais pour le franchir et descendre dans ce petit coin d’Espagne, je suis un couple de français toulousains. Nous nous retrouvons tous trois au col. Ce couple semble connaître le passage qu’il m’indique. C’est de la désescalade vertigineuse, et pas facile du tout. Surtout avec mon gros sac. À force de patience et de beaucoup de prudence, je parviens au grand névé qui suit en contrebas pour m’apercevoir que le bon passage facile, borné ! est trente mètres plus au nord. J’enrage d’avoir écouté sans réfléchir des gens qui semblent savoir … d’avoir perdu une bonne heure et de m’être fait peur.
La suite vers le refuge Arrémoulit est belle et agréable … même avec de la descente non anodine. Afin de rejoindre le col d’Arrious, je choisis l’option passage d’Orteig réputé vertigineux. En effet, il l’est. Un long passage où le faux pas serait fatal, mais sécurisé par une main courante en câble d’acier fixé à la paroi. L’alternative était de descendre de deux cents mètres environ jusqu’au lac d’Artouste, puis remonter jusqu’au col.
Avant le passage, je laisse le refuge Arrémoulit agréablement placé au bord du lac éponyme.
Après le col d’Arrious, c’est une très longue descente jusqu’au Pont d’Arrious où on retrouve la civilisation représentée par un nombre étonnant de véhicules sur la route qui mène au col du Pourtalet.
Après cette étape relativement lente, je n’arrive à ce point qu’à 17 heures. Comme il reste plus de six cents mètres de dénivelé pour atteindre le refuge Pombie, à l’origine but de la journée, je décide de bivouaquer dans la vallée à la limite du parc national. Sur le flanc opposé, je repère le sentier que je devrai suivre demain.
Ce sera une journée légère car ces six cents mètres n’occuperont pas de longues heures et je n’estime pas raisonnable d’enchainer par l’ascension de l’Ossau. Je projette de faire comme pour le Vignemale : deux nuits au même endroit. Pour la suite je reverrai mon programme flexible.
J’aimerais raccourcir la traversée à 45 jours alors qu’elle était prévue sur 47 jours mais sera-ce possible et raisonnable sachant qu’il y a encore de beaux paysages à voir. Les traverser « en courant » serait stupide. Je vais voir ça en détail, pas de pression … je suis retraité !
Lundi 30 juillet 2018 – Jour 36
Bivouac au Pont d’Arrious – Refuge Pombie
Départ à 8h, de la bergerie à 9h, arrivée au refuge à 12h.
Hier soir je suis allé à la bergerie du Caillou de Soques, fermée bien sur, c’était trop tard.
Je retarde mon départ à huit heures pour avoir une chance de trouver quelqu’un à la bergerie. En effet, le berger termine la traite. il me fait gouter deux fromages de forces différentes. Je choisi le moins fort parce qu’il semble plus compact, non moins crémeux et il aura plus de chance de résister à la chaleur du voyage et aux intempéries au fond de mon sac à dos. J’en prends un morceau de 1.1 kg pour 21 euros. Comme je compte ne pas manger systématiquement dans les refuges dans les jours qui viennent, ce fromage excellent et très nourrissant fera une bonne base alimentaire. Une dame arrive et me fait gouter le greuil, fromage frais et naturel car il n’y a ni conservateur, ni colorant ou additif, mais il est fragile et doit rester en permanence au frais, vers 6°. Grumeleux et doux. J’adore. Mais il n’est pas transportable dans mes conditions. Il doit être excellent sucré ou salé. Cette charmante dame me permet d’en goutter … abondamment ! Et me conseille de n’en pas prendre dans le sac.
Nous discutons pendant une heure de choses et d’autres. Elle est retraitée d’Air France comme hôtesse de l’air. Elle me prépare un café pendant qu’elle confectionne un repas léger pour le berger qui n’a pas beaucoup de temps puisqu’après la traite il s’occupe de la fabrication du fromage, puis il va récolter du foin. Ce ne doit pas être facile compte tenu des pentes aigües ici … et ensuite il sera présent pour la vente aux gens de passage sur la route du col. Berger … un métier champêtre et bucolique … pourrait-on croire !
Sur le parking contigu, ils ont placé le panneau indicateur qui avait, hier soir, retenu mon attention. Le berger parle peu, occupé par son repas. Belle rencontre que ces deux personnes que je ne pouvais passer sous silence dans cette évocation.
Fromage rangé dans mon sac, j’entame la montée vers le refuge que j’atteins à midi.
Dans la vallée, près du torrent, le sentier commence dans la prairie puis traverse une forêt où l’ombre fraiche et la pente raisonnable et régulière sont hautement appréciables. Après la forêt, alpages avec plusieurs bergeries notées « cabanes » sur la carte. Et beaucoup de troupeaux, essentiellement des brebis, mais aussi vaches et chevaux. Ce dénivelé se passe très facilement sans effort considérable et j’arrive au refuge à peine fatigué. Celui-ci siège réellement au pied de l’Ossau et près du lac de Pombie. Ce dernier attirant du monde réparti au soleil sur sa périphérie, plusieurs n’hésitent pas à s’y baigner.
Après avoir placé ma tente « sans la monter », nous sommes dans le parc national, je fais une lessive légère mais indispensable. T-shirt, slip et chaussettes ! Le tout à sécher ensuite avec l’espoir de les récupérer secs grâce à l’action cumulée du soleil et du vent. Cela a du bon les étapes limitées à une demie journée !
Je commande une omelette au fromage-chorizo servie avec pain et eau. Avec de fines tranches de mon tout nouveau fromage ce qui me permet de m’auto-féliciter pour ce précieux achat.
Puis petite balade au-dessus du refuge afin d’avoir une autre perspective sur le paysage et de faire quelques photos.
Je me suis inscrit pour repas du soir, petit déjeuner et sac pique-nique pour les deux soirs qui viennent. Demain, je tenterai l’ascension du sommet le plus facile de l’Ossau.
Et victoire … je n’ai presque plus mal au pied en marche normale avec les chaussures de bivouac. Espérons que demain, avec les chaussures de marche, il en sera de même. Ce serait un véritable changement de vie !
Mardi 31 juillet 2018 – Jour 37
Refuge Pombie
Départ à 7h30, retour à 12h30
La journée était prévue pour l’ascension de l’Ossau.
Mais au début de l’escalade, j’ai jugé – à tord ou à raison, je ne sais pas – que seul et sans corde d’assurage, je ne suis pas à l’abri d’un faux pas qui aurait de fâcheuses conséquences. C’est irrationnel un peu, car je suis persuadé être capable de faire cette ascension. Tant pis, j’aurai « perdu » une journée mais ce sera une journée de repos, ce qui ne peut pas me faire de mal !
J’ai tout de même marché un peu pour apercevoir le côté nord du pic, ou tout au moins le paysage sous la mer de nuages.
Retour près du refuge à 12h30. Je commande encore une omelette au fromage-chorizo que je complète avec du fromage acheté hier. Puis je répare encore mon pantalon. Des gens viennent s’installer près de moi. Une dame travaille dans le domaine social à Paris. Nous parlons des jeunes, de leurs motivations de démarrage dans la vie, de passions, de montagne. Et je présente mon exposition photos spéléo de septembre au CAF à une toulousaine.
Il fait frais. Je me mets à l’abri et reprends le livre passionnant commencé hier, écrit par les gardes des refuges ( * ).
En savourant un punch maison accompagné d’un Taïvel, gâteau aux amandes et myrtilles … savoureux, mais bien petit pour mon appétit de marcheur.
(* ) Mémoire de terrain, Récits des gardes-moniteurs du Parc National des Pyrénées, Co-édition Le Parc National des Pyrénées et Editions du Pin à Crochets.
Mercredi 1 août 2018 – Jour 38
Refuge Pombie – Refuge de Larry
Départ à 7h30, arrivée à 15h30.
Gros petit déjeuner, comme d’habitude en refuge gardé. Puis c’est le départ.
Sentier agréable sans difficulté particulière. On est loin des Hautes-Pyrénées et des chaos infernaux ou autres névés aux pentes … verticales. Bref, du facile qui reste superbe. Beaux lacs et parties calcaires avec gouffres signalés. Se rapprocherait-on des lapiaz ? Patience.
Au refuge d’Ayous, on se croirait en ville, il y a foule. Le refuge, remarquable, avec ses tuiles et son revêtement mural en dalles de bois invite à l’arrêt. Mais la solitude et la quiétude de la montagne sont ailleurs.
Par contre le refuge de Larry non gardé est charmant. J’y suis seul. Pour le moment, il n’est pas exclus que quelqu’un arrive plus tard. Plusieurs couchettes, un peu de vaisselle et une plaque de cuisson au gaz. Précieux et apprécié.
Une parcelle de terrain est clôturée autour du refuge pour tenir le bétail à distance, une source y est aménagée. De plus, le point de vue est splendide. Ce petit bâtiment entièrement recouvert de tuiles de bois ajoute du charme à ce bel endroit esthétique.
Je me demandais si j’allais m’arrêter là ou aller bivouaquer plus loin. La réponse s’impose !
De plus, ayant bavardé quelques centaines de mètres plus haut avec le berger qui rassemblait ses brebis avant de les amener à la bergerie juste en-dessous du refuge, je souhaite le revoir … et sans doute goûter et acheter de son fromage ! En plus de celui acquis il y a trois jours qui a bien maigri depuis.
Seul petit bémol : une invasion de mouches affamées …
Quel calme, quelques sonnailles et le glouglou de la fontaine.
Je profite de cette solitude pour faire une toilette complète dans cette belle eau fraiche. Et aussi un peu de lessive. Je me sens bien mieux. Comme c’est simple la sérénité !
Plus du tout mal au pied. Mais je crains un tassement des vertèbres et un nerf coincé de temps en temps provoquant périodiquement une douleur vive comme une aiguille enfoncée dans le dos. Ce n’est pas drôle. J’espère pouvoir tenir jusqu’à Hendaye. Patience et ténacité, demain sera un autre jour.
Le berger redescend avec son troupeau qu’il va traire … sept cents brebis.
Il m’autorise à venir voir cette opération que je n’ai jamais vue avec un si grand nombre de bêtes. Elles sont belles avec leur laine épaisse tombante et de couleurs différentes. De presque blanche à beige brune. Des cornes puissantes à la pointe dirigée vers l’avant. J’assiste à la traite. Toutes les bêtes sont parquées serrées dans un enclos de barrières métalliques. Puis, une à une, dans deux filtres où elles s’engagent. Le berger et son employé se partagent le travail. Celles à traire sont marquées de teinture bleue sur le dos, ainsi différenciées des mères nourrissant les agnelles et agneaux, ou de celles qui n’ont pas de lait parce qu’elles n’ont pas encore agnelé. Ces brebis ne donnent pas beaucoup de lait, mais il est d’une grande qualité. Le fromage issu de ce lait est excellent, le meilleur depuis le début de ma randonnée. J’en achète six cents grammes et le berger m’offre un morceau de pain, ce qui constitue pour moi un grand cadeau car je n’en ai plus … et le fromage sans pain … !
J’apprends que ces bêtes sont élevées pour le lait uniquement. Leur laine trop épaisse et trop lourde n’intéresse personne mais toute brebis produisant de la laine, il faut les tondre périodiquement. La laine est détruite puisque non demandée. Elle est brûlée ce qui me choque car je la trouve belle. En fait elle pourrait être utilisée mais son traitement est trop onéreux par rapport à de la laine issu de pays où son prix est inférieur.
Et quand les brebis ne produisent plus de lait, elles sont vendues pour le prix dérisoire de dix à vingt-cinq euros chacune.
Pendant que je suis penché sur l’enclos bondé de brebis pour faire des images, je suis tiré vers l’arrière par mon blouson. C’est une brebis qui l’a trouvé salé – de transpiration – et qui le lèche goulument et avec plaisir semble-t-il ! Je doit la chasser gentiment car elle insiste.
Jeudi 2 août 2018 – Jour 39
Refuge de Larry – Refuge Arlet
Départ à 7h15, arrivée à 16h10.
Hésitation au départ quant à la direction à prendre, le berger m’indique le départ du sentier.
Dans l’ensemble, marche agréable.
Petite frayeur au début car mon dos me fait mal, mais bien vite cette douleur disparait et ne se manifestera plus que rarement et de façon éphémère. Ouf. J’espère qu’il en sera de même les jours prochains.
Je suis décidément dans un autre décor que celui de haute montagne que j’ai suivi jusqu’à l’Ossau. Et surtout avant jusqu’au Vignemale. Je ne vois des névés que de loin et la marche se situe dans des alpages avec des dénivelés bien répartis sur l’ensemble de l’étape. Sauf pour accéder au col de Lapachouaou où il faut gravir six cents mètres d’un coup. On est tout de même pas encore en plaine.
Mais, avant, dans la montée à Espélunguère, il faut suivre un chemin forestier dont certains secteurs en pente très prononcée. Des engins forestiers les ont empruntés en les laissant dans un état particulièrement mauvais. Heureusement le temps est sec et la boue s’est solidifiée, ce qui facilite relativement la marche.
Dans cette portion, je rencontre un groupe de cinq personnes toulousaines arrêtées à l’ombre pour un casse-croute. Nous engageons la conversation. ils m’invitent à partager leur pique-nique : pain, saucisson, fromage, petit gâteau, vin rouge ! Ce que j’accepte avec plaisir.
Puis nous marchons plus ou moins ensemble avec trois d’entre eux. Le plus âgé en difficulté prend du retard, attendu par une dame qui l’accompagne. Tous deux arriveront avec beaucoup de retard au refuge Arlet où je m’arrête aussi estimant que neuf heures de marche sont suffisantes pour aujourd’hui.
Demain, j’irai jusqu’à la cabane d’Ansabère où j’espère savoir si l’épicerie de la Pierre Saint-Martin existe toujours, et ouverte parce que j’ai besoin d’approvisionnement. J’aimerai aussi trouver des légumes et des fruits.
Le marcheur retardataire âgé a parcouru la HRP lors de sa première année de retraite … cela me fait penser à quelqu’un ! Il a suivi une partie en autonomie et le reste en refuge car c’était trop difficile me dit-il. Aujourd’hui, victime de crampes et d’un gros coup de « pompe ». Je lui donne un tube de granules cuprum metallicum en espérant que cela fasse effet pour réduire ses crampes.
Le refuge situé dans les alpages se reflète dans le beau lac qui le précède. Cette partie de la montagne béarnaise est essentiellement constituée d’alpages. Au moins sur mon parcours.
J’installe ma tente à proximité du refuge, où je ne suis pas seul dans ce cas. Je réserve le petit déjeuner pour demain. Je pourrai manger et boire chaud plus facilement. Dommage que ce service ne commence qu’à huit heures.
Vendredi 3 août 2018 – Jour 40
Refuge Arlet – Cabane d’Ansabère
Départ à 8h30, arrivée à 16h30.
Paysage d’alpage.
Valse de vautours dans la montée au col de Pau. Dans la vallée suspendue au-dessous, où se trouve une bergerie et un troupeau, je vois un rassemblement de vautours au sol. Sans doute une charogne qui les attire. Profitant du courant ascendant le long de la montagne, ils passent juste au-dessus de moi, mais tout de même trop loin pour des portraits animaliers avec ma trop courte focale. Je fais quand même quelques prises de vues sans grand espoir de photos détaillées.
Longeant le sentier un troupeau de brebis se rapproche de moi gardées par deux chiens. Faisant bien leur travail protecteur, ils s’en prennent à moi qui ne peux pas m’esquiver. D’un côté, c’est le troupeau, de l’autre la pente herbeuse à la déclivité dangereuse. Ils m’encadrent, je dois faire face des deux côtés en gardant un timbre de voix bienveillant ce qui n’est pas aisé entre ces deux gueules pleines de dents aboyant furieusement. M’éloignant à reculons lentement, ils finissent par considérer que je ne suis pas un danger et m’oublient. Ouf !
Dans la partie espagnole dont je n’ai pas de carte sur le GPS, je juge un raccourci possible vers un lac, l’Ibon de Lacherito, que je vois depuis le col perché de l’Araille. Gagné, c’est une bonne idée. Après la montée dans Las Penas de Ibon, je descends tout schuss dans l’alpage pour rejoindre le sentier qui mène aux cabanes d’Ansabère, aux pied des aiguilles éponymes.
Très beau cadre. Les pics calcaires dominant le site sont plein de verticalité ne semblant pas bien accessible.
Je m’attendais à du fromage frais à la bergerie, mais le berger ne propose pas ce produit. Dommage.
Je monte ma tente près d’une autre déjà installée par un marcheur parti depuis une semaine d’Hendaye. Nous discutons un moment. Après avoir vu l’intérieur de la cabane en accès libre, je décide de m’y installer pour gagner du temps demain sur l’heure de départ. Et éviter de plier la tente humide de condensation comme ce matin à Arlet.
Le Patou, gardien du troupeau, vient me voir plusieurs fois pour quémander des caresses. Je dois aller chercher de l’eau en traversant le troupeau bien dense. J’espère que le Patou sera aussi bien intentionné à mon égard … Pas de problème, il m’aime bien. Au moment où je m’approche, le berger pousse un cri, sans doute un ordre aux chiens qui s’agitent. Tout le reste du troupeau qui paissait en descendant tranquillement sur le versant proche se met à courir en une marée vivante. Comme des vagues de laine et de cornes. C’est impressionnant. Je suis presque au milieu de ce flot pacifique.
A la bergerie, trois hommes boivent l’apéritif. Je prends de l’eau et parle d’acheter du fromage. Le berger qui ressemble à Cavana avec ses favoris entre dans le bâtiment et ressort avec une demie meule et me fait goûter. Bien qu’il m’en reste encore 1/2 kilo environ, je décide d’en prendre autant mais leur dit que je reviendrai plus tard. On ne dérange pas un apéritif … qui s’éternise. Pendant ce temps, je me fais une infusion récupérée ce matin au refuge.
Le soleil a disparu pour moi mais les aiguilles encore dans ses rayons, « fument » ce qui présente un spectacle remarquable tout en mouvements.
Comme je suis à court de ravitaillement, je décide de passer demain matin samedi à Lescun car je ne serai jamais assez tôt à l’épicerie de la Pierre Saint-Martin, et dans mes souvenirs, on n’y trouve pas un grand choix alimentaire. Le berger m’indique qu’il me faudra un jour supplémentaire de marche par ce détour. Comme j’ai déjà un jour de retard, ma « performance » ne s’améliore pas. Mais ai-je besoin d’accomplir une « performance » ?!!
Je regarde les étapes qui suivront mon passage à la Pierre. J’ai espoir de les faire plus longues, mais de là à gagner un jour, voire deux, je n’y crois plus. Après tout, j’ai tout l’avenir devant moi !
De la Pierre j’appellerai mon épouse pour faire le point.
J’ai cru voir deux percnoptères en Espagne, trop loin pour une photo, dommage.
Il faudrait un équipement adapté pour faire de bonnes images de ces oiseaux, beaucoup de patience. Plus tard, dans une autre vie bien sur.
Samedi 4 août 2018 – Jour 41
Cabane d’Ansabère – Cabanes d’Ardinet ou Cap de Baitch.
Départ à 7h, Arrêt à Lescun pendant une heure, arrivée à 16h.
Départ d’Ansabère vers Lescun pour renouveler mon stock de denrées, qui, à part le fromage est réduit à néant !
Et j’ai faim de fruits et de yaourts.
Après trois heures dont une grosse partie de route goudronnée, j’arrive à Lescun où l’épicerie est bienvenue. J’y trouve tout ce que je veux, et même plus tellement tout me fait envie.
Pour consommer sur place, je prends des yaourts, des biscuits au beurre, des prunes, un gâteau basque à la cerise et une bière locale fraîche. Rien d’exceptionnel en fait, mais je me régale à la terrasse de l’épicerie. Regroupe les aliments en me débarrassant au maximum des emballages. Je devrais tenir plusieurs jours ce qui est le but pour aller le plus vite possible de bivouac en bivouac et équilibrer le budget qui est dans le rouge.
Je n’arrive pas à joindre mon épouse mais lui laisse un message, j’essaierai à nouveau demain.
Je m’arrête au refuge de l’Abérouat où je ne peux résister à la vue de la liste des possibilités … et mange deux glaces. Je me retiens de boire une autre bière !
Quand je quitte Lescun, un groupe de jeunes gens buvant du café remarque mon accoutrement et la grosseur de mon sac. Sans commentaire, mais leurs regards sont explicites.
Un moment après je croise un couple, la quarantaine environ. Petite discussion qui s’oriente bientôt sur la spéléologie, ce terrain karstique s’y prêtant bien. La dame, sans gène du tout, me dit avoir pratiqué étant plus jeune. Mais en a gardé un mauvais souvenir car coincée dans une étroiture par sa poitrine qu’elle a, en effet, bien forte … !
À la cabane d’Ardinet, je demande au jeune berger accompagné de son fils de seize mois où je peux installer ma tente. Nous avons une conversation sympathique sur la spéléo et le massif karstique même s’il ne pratique pas cette activité. Il connait un gouffre intéressant qui l’impressionne car les cailloux tombent et roulent bien bas. Sa compagne est dans la montagne avec le troupeau qu’il faut garder en permanence. La traite est ici unique et journalière. Il affiche faire du greuil mais encore pas de chance pour moi, il n’en a pas fait dernièrement à cause de la chaleur et du faible débit de vente. Encore dommage pour moi.
Un moment après moi, un couple arrive et cherche un endroit de bivouac. Je libère l’ombre que j’ai squattée pour manger, ils s’y installent. Ils parcourent la HRP dans l’autre sens et la divise en fractions, arrivent du pays basque et me vantent la beauté de l’Orhy que je devrais voir bientôt.
Je m’aperçois que ma batterie solaire, malgré le grand soleil, ne se charge pas ce qui signifie qu’elle est presque vide. Je tente toutefois de recharger le téléphone cellulaire en espérant que cela sera suffisant pour deux jours … pour le GPS, j’ai aussi la carte au 1/50000, même si elle n’est pas bien détaillée.
Demain, je serai à l’abri d’Ardane et ensuite aux chalets d’Iraty où il y a l’électricité. Ce qui implique que je ne pourrai certainement pas passer au pic d’Anie. Donc j’emprunterai le GR10 afin d’aller directement à la Pierre. Zut, encore un truc loupé Pas grave car je connais déjà ce très beau pic.
Dimanche 5 août 2018 – Jour 42
Cabanes d’Ardinet – Cayolar d’Ardane
Départ 7h40, arrivée à 19h.
Aujourd’hui, je voulais rattraper une demie étape …
Le parcours Ardinet-Ardane est long. Grosse étape. Bien que difficile, j’y arrive. Satisfait !
Afin de réussir ce souhait, je néglige le pic d’Anie ce qui est dommage. Mais j’y suis déjà allé et compte bien y revenir à l’occasion de sorties spéléos qui ne manquent pas dans cette zone.
À partir d’Ardinet, je suis le GR10 jusqu’à la Pierre Saint-Martin où j’arrive à 10h30.
Recherche de l’épicerie. Pas trouvée mais une petite boutique avec toutes sortes de choses. La dame me dit qu’elle fait « dépannage » avec quelques denrées d’épicerie. Comme je suis – encore – avide de produits frais, je prends une banane, le seul fruit disponible ! Puis des yaourts. Encore ! Avec des compotes et des biscuits. Que je mange sur la terrasse du bâtiment assis sur mon sac à dos et profite du réseau pour envoyer quelques textos, appeler mon épouse qui est chez ma mère. Je les rassure toutes deux, leur indique que tout va pour le mieux.
Après le col de la Pierre Saint-Martin, distrait comme souvent, je pars sur le chemin du GR qui mène à Sainte Engrace … Demi tour. Le bon chemin est la route goudronnée qui joint France et Espagne.
Route goudronnée, donc désagréable pour la marche, et relativement fréquentée. Un dizaine de kilomètres à pied. Comme je n’ai pas le choix ! Je pars d’un bon pas, autant en finir au plus vite. Au bout d’un moment, j’estime que si je fais du stop je ne trahirai pas la HRP si c’est pour éviter ce tronçon désagréable. Mais route déserte d’automobile, il est midi. Puis un monospace arrive. Je lève le pouce sans trop y croire. Je rêve, il s’arrête. Un couple d’espagnols avec leur fille. Ils parlent un peu français. On se comprend. Je montre ma route au chauffeur, je dois suivre la route jusqu’au refuge de Belagua assez proche maintenant. Nous parlons, ils sont basques … et moi un peu aussi ! Les kilomètres défilent. Nous dépassons largement le refuge … pas de problème, le chauffeur fait demi-tour et me ramène au niveau du refuge. Très sympathiques ces gens.
Je trouve de suite un sentier au-dessus de la route. Le GPS me confirme être sur la bonne voie. En fait, c’est encore un GR. Le GR11 je crois, qui est ici confondu avec la HRP. C’est long, et passé la frontière pour descendre vers Ardane, je suis dans le brouillard sans beaucoup de repères. Le GPS aidant, je m’en sors même si finalement je ne passe certainement pas sur le meilleur chemin. Un couple de jeunes randonneurs toulousains est déjà installé sous tente ( * ). Ils m’informent que je peux trouver de l’eau à la cabane de la bergère qui a la garde de 1600 brebis ! La cabane refuge non gardé est sale parait-il, je monte la tente et dîne abondamment.
Demain sera un peu plus facile, normalement. On attend du beau temps pour encore deux jours et mercredi des orages sont annoncés … Nous verrons.
( * ) Frédéric et Pauline : nous nous reverrons trois fois, je les emmènerai même plus tard en spéléo !
Lundi 6 août 2018 – Jour 43
Cayolar d’Ardane – Chalets d’Iraty
Départ à 7h45, arrivée à 17h30
Au départ d’Ardane, montée longue dans les alpages pentus pour rejoindre la crête frontière.
Puis c’est une crête longue, très ventée d’où l’on peut admirer le paysage des deux côtés sur de grandes distances. C’est totalement différent des hautes montagnes que j’ai traversées lors des dernières semaines. Les dénivelés sont moindres mais les pentes restent respectables, parfois de ce point de vue là, on se croirait en Ariège !
Au-dessus des arêtes parcourues, une foule de vautours fauves profite des courants ascendants et passe assez proche de moi. Pas de problème pour eux, les courants d’air les portent sans effort. Je vois aussi deux milans royaux et de grands vols de choucards.
L’arrivée au pic d’Orhy ne présente pas de problème technique, juste un dénivelé de quatre cents mètres que même des enfants arrivent à gravir … avec l’encouragement de leurs parents. Pendant cette ascension, la vigilance est recommandée tant certaines pentes herbeuses ou dans des cailloutis sont fortes. Je ne serais pas rassuré avec de jeunes enfants, mais tout se passe bien. Au sommet : du monde. Il faut dire qu’il y a un parking à la base et cette ascension se pratique en famille. J’y rencontre un couple qui vient des chalets d’Iraty et y repart. Lors de la descente sur l’autre versant en suivant les arêtes vertigineuses par endroits, je retrouve Frédéric et Pauline. Ils ont réservé le petit déjeuner à Iraty mais bivouaqueront sur les hauteurs. Descente jusqu’à Iraty. Je constate que c’est un complexe touristique qui tient de l’industrie du genre. Il faut passer par un centre de réservation à sept cents mètres des chalets. Je passe devant ce centre … sans le savoir et me retrouve aux chalets où on me demande de revenir au centre de réservation … ! Sous ce soleil, avec ce sac, sur le goudron : pas question. Je téléphone. Tout est déjà réservé. Mais là, il s’agit des chalets. Je cherche le refuge signalé sur la carte. Là aussi, il faut réserver au centre ! Je téléphone à nouveau. il reste une place dans le refuge annexe mais je dois revenir au centre ! On n’en finit pas. Mon interlocuteur propose de se déplacer lui-même pour encaisser quinze euros et me montrer l’annexe. Je suis le deuxième locataire d’une chambre à deux lits dont la clé est dans la poche du premier locataire déjà arrivé. Lequel est inconnu, et personne ne sait où il est. Je cherche parmi les autres personnes. En vain. et j’apprends que des personnes seules sont au bar voisin. Après une douche chaude – à l’extérieur de la chambre – et un peu de lessive, et après avoir laissé un mot sur la porte de la chambre avec mon numéro de téléphone, je pars à la recherche de cet inconnu. Au bar, une dame qui est consciente de mon soucis … j’ai demandé à tout le monde … me montre la personne cherchée … qu’elle a trouvée ! Je récupère la clé et pose mon sac dans la chambre surchauffée sous le toit. Je serai dans le lit supérieur. Donc bien au chaud. super ! Le premier locataire anglophone est tout confus de la situation.
Je mange dans le local prévu à cet effet, très bien équipé et propre. J’y suis seul.
Le randonneur anglophone s’installe dans la chambre, mais il est trop tôt pour moi. D’autant plus que je préfère attendre un peu la fraicheur absente pour le moment dans cette pièce. Plus tard dans la soirée, souhaitant tout de même dormir, je regagne la chambre avec l’intention de la discrétion. La charnière de porte grinçant, je pousse rapidement la porte pour limiter le bruit. Et fais tomber au sol divers accessoires du colocataire posés là. En grand bruit bien entendu. La porte fermée, je m’installe dans le noir et donne un grand coup de tête bruyant dans le plafond oblique sous le toit surbaissé … le dormeur semble imperturbable … en apparence.
Au matin, il sera encore immobile lorsque je sortirai de la chambre, cette fois, vraiment discrètement.
Lundi 6 août 2018 – Jour 44
Chalets d’Iraty – Auberge de Béhérobie « Les Sources de la Nive »
Départ à 9h, arrivée à 18h45
La journée commence bien. Petit déjeuner sympathique au restaurant unique local.
À huit heures le petit déjeuner n’est pas vraiment prêt. Le pain se fait attendre. Puis arrive le serveur, également patron, qui me dit que ce pain est très bon, c’est le boulanger qui le livre. Je prends un café et le lot de beurre, tartines, et confitures assignées au petit déjeuner d’une personne. Sur la terrasse des randonneurs arrivent, s’installent et déjeunent. De table en table, les discussions traitent … de randonnées bien sur. Belle ambiance. Je récupère le pain non mangé de mes voisins car ma part me semble trop légère. Je confirme que le pain est excellent, et pour compléter je prends deux chocolatines.
Au moment de partir, je prépare un mot à destination des toulousains qui doivent arriver pour le laisser au barman. À ce moment, ils arrivent après avoir passé une nuit à tenir leur tente prise par le vent. Ils n’ont pas dormi. Je prends leurs coordonnées et leur donne le mot préparé pour eux. Du coup les discussions se prolongent et je tarde à partir. Mais il faut bien démarrer. Ce que je fais à neuf heures. Bob, tu dérapes, tu aurais du partir plus tôt. Le mauvais temps éventuel se présente en général l’après-midi et il vaut mieux être arrivé à destination avant.
La marche commence par sept cents mètres de bitume, déjà parcourus hier dans l’autre sens. Puis c’est dans les alpages et dans des forêts essentiellement de hêtres. Plus loin je suis au-dessus d’une belle mer de nuages vers Okabé. Mais lorsque je m’approche de la crête d’Urkulu, je suis totalement dans le brouillard de plus en plus épais. Pas facile de se repérer. Malgré le GPS et en l’absence de balisage je me perds. Il me faut beaucoup de temps pour retrouver le bon chemin. Je suis certain d’être dessus seulement après une recherche humide à flanc de montagne qui n’en finit pas. Pas facile et lancinant dans la purée et dans des herbes détrempées à hauteur de ceinture. Paradoxalement et contrairement à mes souhaits habituels, j’aimerais trouver une route. Là, je ne devrais pas la perdre. Sauf que lorsque j’en trouve une enfin, je prends la mauvaise direction à un carrefour. Encore sous le coup de l’hypnotisation par le brouillard sans doute ! Un kilomètre plus tard, je fais demi tour. Cette fois sur une bonne petite route sinueuse. Dans un nuage épais mêlé de pluie insidieuse et persistante. Le GPS indique un sentier mais s’il est « pommatoire » comme celui de ce matin, il vaut mieux rester sur la route. Sauf que celle-ci est interminable. J’allonge le pas, accélère le rythme. Baisse la tête sous ma capuche dégoulinante de pluie de condensation. Ne vois que deux mètres de bitume devant moi. Mon avance devient vite automatique, machinale, mécanique, lancinante. Je ne vois que mes pieds. Plus j’avance et plus il me semble illusoire voire impossible d’espérer arriver à destination. Je n’ai pas le choix. Bivouaquer dans cette ambiance d’humidité extrême ne me tente pas. Je suis gelé, seule la marche me maintient en température supportable. Planter la tente me tente ! Quel humour Bob dans cette situation ! Mais la perspective d’en ressortir demain dans les mêmes conditions, voire pires, avec des vêtements trempés et froids me pousse à vouloir atteindre le but de toutes forces. Les heures passent. Je marche. Je marche. Les heures passent, toutes identiques. Je suis hypnotisé par cette marche infernale. C’est extraordinaire ce que le corps, mu par la volonté, peut accomplir. Même des actes insensés. Insensé est le mot propre car la situation n’a pas plus de sens que celle de ces ânes condamnés à tourner toute leur vie en activant une noria souterraine pour pomper l’eau du Sahel. Je suis cet âne qui avance sans réfléchir, l’esprit vide, ou plutôt pour moi chargé de cette volonté fixe d’arriver à destination.
Sur cette route désertique, aucune voiture. Aucune ? Non, en voilà une arrêtée sur le bord, perdue dans la nuée. Je m’approche. Un chien aboie. Je frappe à la vitre embuée. C’est un homme seul avec son chien de berger dans cette voiture utilitaire sans siège à l’arrière. Il baisse la vitre. Je lui demande s’il peut m’amener à Béhérobie. Il me répond mais a un défaut aigu d’élocution. Je ne comprends rien. Heureusement, lui me comprend et je comprends qu’il n’est pas intéressé, que c’est loin, que je n’y arriverai pas. J’insiste en lui proposant de le payer. C’est un dialogue à sens unique, irréel, surréaliste … Je dois avoir l’air d’une serpillère trempée. J’insiste poliment. Il emble ennuyé par ma demande. N’ose refuser catégoriquement, ni accepter. J’attends sa décision, comme un accusé celle du jury. Je commence à m’imaginer montant la tente en apnée ou marcher, marcher encore pendant des heures sous la pluie. Il enlève partiellement ce qui encombre le siège passage. Ouf, c’est gagné. J’ai des scrupules à lui avoir un peu forcé la main mais je suis soulagé d’un gros poids. Je pose mon sac et les bâtons à l’arrière qui est vide. Et monte à l’avant ce qui ne plait pas au chien qui se pelotonne au sol. Il me demande si j’ai une carte, ou c’est ce que je comprends. J’en déduis qu’il ne sait pas où est Béhérobie. C’est contradictoire avec ce que j’ai compris avant. Je lui montre la carte GPS sur mon téléphone. Il démarre le moteur, la ventilation et l’essuie glace. Je commence à mieux respirer. Il enclenche une vitesse et démarre. Je ne vois rien avec mes lunettes embuées. Et rien sans lunettes tant le pare brise est mouillé, quasi opaque. J’espère qu’il voit mieux que moi. En fait, il connait parfaitement la route et tout ce petit monde alentour qui est le sien. Il roule lentement, mais compte tenu du fait qu’on ne voit quasiment rien, je trouve que c’est un peu rapide. Il connait la route par cœur, on croise quand même deux voitures sur cette route aussi étroite que longue. Il avait raison, je ne serais probablement pas arrivé avant la nuit. Ingénument, sans doute, il me demande plusieurs fois où on est car j’ai le parcours qui défile sous mes yeux sur le GPS. Je réponds ce que je peux lire près de la flèche rouge qui indique notre avancée. Ça a l’air de le satisfaire. Il confirme et me montre où il habite en passant devant une maison. Plus tard, j’apprends qu’il fait du fromage. Trop tard, je lui en aurais bien acheté un peu. Encore ! À cette allure, la route est interminable. On ne voit quelle, tout est caché par le brouillard. Nous arrivons tout de même à échanger un peu. Il a 350 brebis. Mais une partie de ce qu’il me dit se perd dans mon incompréhension. Et ce n’est pas, pour une fois, à cause de mes oreilles. Arrivée à un carrefour, à 1.5 kilomètre du but, il me fait comprendre qu’il est tard, 18h15 et ne peut pas m’emmener plus loin. Je le remercie chaleureusement et propose de le payer. Je cherche des billets, lui en propose un de vingt euros qu’il refuse, m’indique que dix suffiront, je comprends, lui donne dix euros ce qui le satisfait. Moi aussi. Je lui serre la main avec reconnaissance. Il me donne un papier et un crayon pour que je note mon nom que je lui avais donné un moment plus tôt en précisant son origine basque. Il le regarde et me dit quelque chose que je comprends pas …
Je récupère sac et bâtons et pars en direction de l’hôtel situé à 1.5 km.
Il pleut encore plus maintenant. Arrivé à la réception après une marche forcée pour combattre le froid qui m’a regagné, j’apprends qu’il y pas de chambre libre. Peut-être à quatre kilomètres chez un concurrent … J’explique que je suis à pied. Et mi plaisantin, mi sérieusement demande s’ils n’ont pas une cave, un grenier, un couloir ou un garage, sinon un emplacement pour ma tente. Palabres dans la cuisine. Puis on me propose un garage ce que j’accepte sans l’avoir vu. En fait, c’est un local où du matériel d’hôtellerie est stocké. Il y a un peu de place au milieu. bien assez pour mon sac de couchage. Je confirme mon acceptation avec plaisir. Puis le réceptionniste, fils des patrons, vient me dire que s’il y a des désistements il viendra me le dire. Il me propose déjà la chambre réservée par deux randonneurs puisqu’ils ne sont pas encore arrivés ! Je refuse, sachant qu’il s’agit des deux toulousains, et affirme qu’ils ne vont pas tarder à arriver. En fait, ils sont perdus comme moi. Dès qu’ils trouvent du réseau, ils appellent l’hôtel. La patronne va les chercher en voiture à douze kilomètres. Les propriétaires et le personnel de cet hôtel sont vraiment de belles personnes.
Une fois changé mes vêtements mouillés et fait une bonne toilette car il y a un lavabo dans ce local, je m’installe à une table du restaurant et demande deux bières pression successives. Que je bois en engloutissant des amuse-gueule, même après avoir mangé quelques fruits secs dans « mon » garage.
Je commence à prendre ces notes quand Pauline et Fred passent près de moi. Etat de nos aventures et efforts respectifs. Apéritif et repas ensemble. Conversation intéressante sur les différents états de la randonnée, les motivations de chacun, les gens qui la pratiquent. Une carafe de vin vient pimenter le tout. Ils resteront à l’hôtel demain. Je réfléchis à ma décision car demain sera une mauvaise journée quant à la pluie. Je ne peux pas me lancer dans une étape qui se présente comme longue dans ces conditions d’humidité extrêmes. J’envisage d’aller à Saint Jean-Pied-de Port tout proche et m’organiser pour court-circuiter l’étape suivante sans intérêt avec ce temps.
Je ne repars pas dans ces mêmes conditions. Randonner, oui, mais pas à la nage.
Le personnel familial de cet hôtel restaurant est vraiment charmant. La patronne me propose de faire sécher mes vêtements dans la chaufferie. Ce que je fais. Demain, petit déjeuner à huit heures. ils m’ont dit qu’ils vont régulièrement à Saint Jean-Pied-de Port tous les jours et me propose de m’y emmener. J’accepte la proposition et m’organise en conséquence.
Mardi 7 août 2018 – Jour 45
Auberge de Béhérobie – Bivouac à Borospil (Ferme Esteben au col des Veaux)
Départ à 11 h, arrivée à 18h45
En fait départ de Béhérobie à 11 heures, puis de Bidarray à13h45, arrivée à 18h45.
Passé une nuit trois étoiles dans le « garage ».
Local où sont entreposés des appareils de restauration, gril, sertisseuse pour boites de conserves, …
Avec lumière, eau à volonté ainsi que des prises de courant qui m’ont permis de recharger toutes mes batteries : capteur solaire ( ! ), appareil photos, téléphone-GPS.
Je suis donc prêt pour continuer la randonnée.
Mais le temps n’est pas du tout propice. Je ne veux pas renouveler l’expérience de la journée précédente, ou pire peut-être. Car la longue étape jusqu’à Aldudes se situe à des altitudes où le brouillard est roi en ce moment. De plus l’itinéraire passe par des voies non balisées. Mes vêtements mouillés d’hier ne seront surement pas tout à fait secs … et surtout avec mes chaussures trempées entièrement.
Autant de raisons pour ne pas partir dans la nature aujourd’hui. La patronne de l’hôtel, charmante elle aussi, m’a proposé de m’emmener à Saint Jean-Pied-de Port vers 10h30. En fait à 11h, parfait pour moi. J’essaierai ensuite de trouver un itinéraire à des altitudes pour lesquelles j’ai espoir de ne pas être perdu dans les nuées. L’espoir fait vivre dit-on. Et je ne veux pas arriver à Hendaye autrement qu’à pied. Depuis plusieurs jours, je m’imagine sur la plage équipé en randonneur !
On dit souvent que le pays basque est vert … c’est vrai et je comprends pourquoi. L’humidité n’y est pas que relative. J’aimerais bien un jour revenir par beau temps, si possible, sur les routes que j’ai parcourues sans voir au-delà de dix mètres de part et d’autre du chemin. Revoir ça sans impression d’hallucination, sans impression d’un bout de monde perdu. En tous cas, je ne pourrai pas oublier l’accueil chaleureux que j’ai reçu en arrivant ici. D’abord la gentillesse du berger qui m’a amené sur quelques kilomètres alors qu’il n’y était pas obligé, et n’en avait pas vraiment envie. Et ensuite l’esprit des personnes de l’hôtel, avec un humour qui a chassé la tension qui était la mienne après cette marche de plongeur en apnée, avec une hospitalité généreuse, sans affectation, toute simple et chaleureuse. Et ce n’était pas dans un esprit commercial, c’est évident. Je l’ai ressenti objectivement en faisant abstraction de mon stress momentané.
Le petit déjeuner est royal. À mon habitude, j’ai une matinale faim de loup. Tout à fait satisfaite par la quantité, la variété et la qualité des produits mis à disposition. Je dois même calmer mes envies déraisonnables car le ventre plein ! Il va falloir d’ailleurs que je reprenne un rythme alimentaire normal, c’est-à-dire de sédentaire qui ne dépense plus qu’une énergie ordinaire et non débridée comme le marcheur surchargé que je suis depuis quarante cinq jours.
Reprendre une « vie normale ». Il va me falloir quelques jours pour y parvenir certainement. Et mon épouse ne va pas manquer de constater que j’ai perdu du poids … un peu ? En fait je ne sais pas exactement. Je suis curieux de savoir après pesée de la bête. Au départ, je pesais 70.7 kg … Elle va vouloir me faire regagner un poids « normal ». Ca promet de bons petits plats !
En cette journée de transition, je me retrouve finalement à Bidarray pendant que la météo se calme. Ciel encore bien couvert, mais pas de pluie ! Quel bonheur !
Départ à 13h30 de Bidarray, arrivée à 18h45.
J’y retrouve le GR10. Ce n’est pas sur le cheminement que j’avais prévu. C’est un pis-aller satisfaisant car assez loin du but et le final est commun avec mes prévisions puisque la HRP y est confondue avec le GR10. Au départ, une « belle » et longue partie sur le goudron … comme je les « aime » … ça, c’est de l’humour … oui, j’ai retrouvé le moral !
Je fais une pause au début d’une partie montante, pour manger un peu et vérifier où je suis exactement sur la carte à l’aide du GPS qui enregistre ma trace. Ici sans fond de carte car je n’avais pas prévu cette partie de l’itinéraire. À ce moment, un randonneur descendant dans l’autre sens me demande si je cherche mon chemin. Je lui dit que je veux seulement connaître ma position afin de savoir quelle quantité de chemin reste à parcourir pour aller à Ainhoa. Il me dit que je n’y arriverai pas surtout avec la montée « dans la caillasse » qui m’attend à moins « que je sois très affuté ». Je n’aime pas ce genre de sous estimation aveugle sans fondement et, vexé, je mets le turbo. En effet la montée de 400 mètres « dans la caillasse » n’est pas aisée. C’est pourtant le type de marche que j’affectionne. Technique et délicate dans laquelle il faut rester concentré. Je la franchis en 1h30. Ce Monsieur m’a piqué au vif, cela suffit pour trouver beaucoup d’énergie. C’est très bête. Tant pis, tant mieux ! Je croise un grand nombre de randonneurs dans l’autre sens dont une partie n’est pas du tout à l’aise dans cette descente particulièrement raide et difficile. Je crois monter plus vite qu’ils descendent.
Au sommet, ce sont de beaux alpages avec des troupeaux de brebis et de chevaux. Je suis les balisages du GR qui tangente la frontière marquées par des bornes numérotées. Dans la descente vers une petite vallée suspendue où est située une ferme-gîte. Je croise un couple de randonneurs qui me donnent des informations sur le chemin jusqu’à Ainhoa. Je décide de m’arrêter au gîte pour avoir le menu « du randonneur », normalement réservé à ceux qui dorment sur place. Je l’obtiens même si je bivouaque hors de la propriété à cause des animaux laissés en stabulation libre. Le repas est simple mais chaud et cela fait du bien. Je réserve mes provisions pour plus tard.
Je projette de me lever tôt pour tenter d’atteindre Hendaye dans la journée. C’est une longue marche, c’est ambitieux, on verra bien.
Pendant la fin du repas, des bruits se font entendre. Non, ce ne sont pas des meubles que l’on traine sur le parquet … C’est l’orage qui s’approche. Mes oreilles me jouent d’étranges tours quelquefois. À l’extérieur tout semble calme à l’exception du ciel qui s’obscurcit rapidement. Je paie mon repas et revient vers ma tente montée à 150 mètres environ. Quelques grosses gouttes marquent le sol. J’accélère le pas. De plus en plus de gouttes. Je cours presque. À la seconde où j’ouvre ma tente, c’est l’ouverture du bal. Un festival d’énormes gouttes. Je me jette à l’intérieur de mon home miniature. Juste le temps de le fermer et c’est l’apocalypse. Un déluge me tombe sur la tête … enfin, sur la tente. Dans un grand vacarme une foule immense tambourine sur le double toit. De plus en plus fort. En densité exponentiellement grandissante. Dans la partie haute de la tente … enfin, dans la partie la moins basse, c’est-à-dire juste au-dessus de ma tête, des impacts commencent à faire traverser l’eau et des gouttières se créent. Puis l’eau ruisselant sous la tente, c’est le tapis de sol, qui usé, laisse aussi passer l’eau. Un petit ruisseau pénètre à l’intérieur au niveau de ma tête … et ressort heureusement à l’autre extrémité ! Je place le matelas pneumatique sur cette nappe liquide pour m’isoler. J’essuie comme je peux l’eau qui me tombe dessus. Je rentre l’appareil photo dans un sac plastique, puis dans la banane qui le protège habituellement même si celle-ci est encore humide de mon aventure aquatique d’hier. Des coups sont portés sur la toile. Ce sont des grêlons. Je ne les vois pas mais à la force des impacts, je les devine gros. Des éclairs illuminent jusqu’à l’intérieur de la tente. Le tonnerre est assourdissant. J’ai l’impression d’être la cible privilégiée de cette fantastique mise en scène. Mais trêve de prétention, toute cette énergie n’est pas déployée pour mon unique, simple et anodine personne ! Aussi je m’occupe à quelque chose d’important. En installant la tente, tout à l’heure, avant de manger, en me baissant, le petit trou de ma jambe gauche de pantalon s’est agrandi de toute la longueur de la jambe ! Il faut faire quelque chose. Je ressors mon nécessaire de couture dans lequel il ne reste que très peu de fil, et me lance dans une réparation délicate tandis qu’au-dessus de moi le spectacle son et lumière bat son plein. Le décalage est impressionnant entre la délicatesse de mes gestes autour de la fine aiguille et la dantesque effervescence du ciel. Ça a un côté amusant. J’éloigne tout de même mes bâtons de marche, le piolet et les crampons en les jetant à l’extérieur le plus loin possible de moi. J’en profite pour me mouiller abondamment les bras. En deux aiguillés de fil bleu, tout ce qui me reste, j’arrive à reconstituer tant bien que mal la jambe de mon pantalon. Il faudra qu’il tienne un jour de plus, peut-être deux.
Et tout d’un coup, j’éclate de rire …!
Il faut que je vous dise : je fais cette couture et je prends les présentes notes, sur le ventre, couché sur mon couchage, les bras débordant de chaque côté du matelas pneumatique. De ce fait je suis appuyé au sol sur les coudes qui baignent dans l’eau ruisselante sur le sol. N’est-ce pas cocasse ?
Le pluie ralentit, pas le tonnerre. Puis c’est le contraire, la pluie redouble de force comme si on pouvait croire cela possible. Puis s’arrête presque. L’orage semble éloigné ou arrêté. Mais de façon isolée. Quelques éclairs
suivis instantanément par le bruit sec et assourdissant arrivent isolément comme pour dire « mes copains sont partis mais je suis là, je pense à toi ». Glaçant.
Et puis le calme revient lentement. Au loin j’entends des grondements de plus en plus éloignés. J’espère que tout cela aura épuisé les ressources humides que contenait le ciel et que demain j’aurai un ciel dégagé. L’espoir fait vivre. Sinon, je reste dans ma tente … Non, bien sur, je plaisante ! Quoique.
Je profite de cette accalmie pour aller soulager ma vessie et aussitôt je dois me replier car la pluie revient mais cette fois plus régulière et moins sauvage. Je croyais, espérais, que tout était tombé. Je me trompais. Il est 23h. Il pleut, vous l’aviez compris. Je n’ose m’introduire dans mon sac de couchage pour le cas où il faudrait m’en extraire d’urgence. J’essaie de dormir dessus simplement.
Une nappe d’eau occupe l’espace entre tapis de sol et matelas pneumatique, et déborde sur les côtés.
Je ne savais pas qu’il pouvait y avoir autant d’eau en un seul ciel !
Mercredi 8 août 2018 – Jour 46
Bivouac à Borospil (Ferme Esteben au col des Veaux) – Bivouac à la Rhune
Départ à 8h, arrivée à 18h.
Journée humide comme la nuit dernière. Marche intermittente ! Arrêts lorsque les averses sont trop fortes.
Pas facile d’avoir une avance efficace. Beaucoup de haltes météo.
De plus, pris d’une petite faim, j’achète un gâteau basque en pâtisserie à Ainhoa et me propose de le savourer à la terrasse d’un café avec un chocolat chaud. Mais comme le café vend aussi des gâteaux, il m’est vivement conseillé d’aller le manger ailleurs … Ce que je fais.
D’Ainhoa à Sare, le chemin suit des cours d’eau en forêt. Ne serait-ce l’humidité ambiante, ce parcours serait bucolique mais en fait il est glissant, boueux, presque triste. Heureusement les arbres très vieux et les cours d’eau vive rendent tout de même ce parcours attrayant. Mais terrain glissant !
À Sare, je bois une bière basque pas mauvaise et en attendant que la pluie diminue, je mange un peu dans une entrée de magasin fermé. Et je repars. C’est la journée des arrêts-départs dans ce paysage vert, on comprend aisément pourquoi tout ce vert. J’ai l’intention de m’arrêter dès que je trouve un lieu de bivouac. Lancé dans cette marche, je vais jusqu’à la Rhune, ce sera tout de même cette partie à ne pas faire demain car il reste encore une longueur respectable de sentier. Je continuerai de suivre le GR10 bien balisé à l’opposé de la HRP qui ne l’était pas sur de longues parties. Et j’éviterai le passage en Espagne surtout à cause de l’absence des cartes espagnoles sur mon GPS. Encore une bonne raison de se tromper.
J’envoie une photo de la mer vue de la Rhune aux copains, à la famille. Une foule de réponses me sont renvoyées ! Demain, j’en ferai une autre sur la plage.
Le photo finale !
Et maintenant je dors. La nuit dernière a été passablement éveillée …
Jeudi 9 août 2018 – Jour 47
Bivouac à la Rhune – Hendaye
Départ à 7h15, arrivée 14h.
Cette nuit, il a plu … encore.
Hier soir, j’ai monté la tente sous des arbres entre deux averses.
Ce matin, quelques nuages mais le ciel est globalement dégagé. J’assiste à un beau lever de soleil sur la plaine côtière dans laquelle des brouillards stagnent dans les creux. La chaleur du soleil sur le corps fait du bien, plaisir oublié après tant de pluie. Toute la nature est saturée d’eau. Les chemins sont glissants et la végétation ruisselante. Comme les sentiers étroits sont bordés de hautes fougères, après quelques minutes de marche, je suis littéralement trempé.
Donc finalement rien ne change en ces derniers jours !
Je ne sais pas si c’est le manque de concentration, la fatigue ou l’étourderie, mais je me trompe trois fois de chemin sur une partie pourtant simple. Le balisage n’est pas parfait peut-être mais de mon côté je manque d’application. Est-ce qu’inconsciemment je refuse d’arriver au bout, de sortir de cette magnifique aventure ?
Mais une douleur aigue dans le dos me signale être impatiente d’arriver au but !
Au col d’Ibardin, je discute avec deux cyclistes qui connaissent bien la région. Il me dise le peu d’intérêt du reste de chemin pour arriver à Hendaye. Ce qui est vrai.
Sur le mur longeant la plage : photo en crampons et piolet en évitant de blesser les baigneurs !!
Fin de cette belle aventure qui me laisse de bien beaux souvenirs occultant vite les moments difficiles que j’ai vécus.
Oui, il y eut bien des passages douloureux, bien des étapes interminables.
Mais aussi des joies immenses. Des émotions démesurées.
Oui, ce fut une aventure au sens de Jean-Paul Sartre : un événement qui sort de l’ordinaire sans être forcément extraordinaire …
C’était un rêve …
Oui, c’était un rêve qui depuis quarante ans me paraissait inaccessible …
Ce rêve me tenait éveillé !
Et j’ai parcouru ces centaines de kilomètres de montagne … comme dans un rêve !
J’eusse aimé qu’il ne finisse jamais.
Il n’est pas certain que mon corps fut du même avis !
Maintenant, je prends conscience que j’ai tué ce rêve …
C’est comme si j’avais perdu quelqu’un ou quelque chose d’infiniment précieux.
Et je sais que je dois trouver d’autres « rêves » …
Ce qui ne devrait pas m’être difficile …